
L’œuvre de James Q. Whitman, notamment son livre « Hitler’s American Model: The United States and the Making of Nazi Race Law », met en lumière l’impact direct et profond que les lois raciales et ségrégationnistes des États-Unis ont eu sur l’élaboration des lois nazies. Contrarant l’idée longtemps dominante selon laquelle il n’y aurait pas eu de lien sérieux entre l’oppression raciale américaine et l’idéologie nazie, Whitman démontre, documents et archives à l’appui, que les penseurs et juristes nazis se sont fortement inspirés du modèle américain pour bâtir leur propre système de législation raciale.

Dès les années 1920 et 1930, Hitler lui-même vantait dans « Mein Kampf » les avancées américaines en matière de hiérarchie raciale, en définissant les États-Unis comme « le seul État qui ait fait des progrès vers la création d’un ordre racial sain ».
Cette admiration ne se limitait pas à des déclarations de principe : lors de la préparation des lois de Nuremberg en 1934, la documentation sur le droit américain servait de base de travail à la commission allemande chargée de rédiger les textes fondateurs de l’antisémitisme d’État. Un rapport spécial sur la législation raciale américaine y fut présenté et étudié par les officiels nazis, et la sténographie de cette réunion montre que ces échanges sur le modèle américain furent centraux et nourris.

L’examen minutieux des archives révèle deux points d’influence majeurs : les lois de citoyenneté et les lois anti-métissage. Les lois états-uniennes frappaient notamment par leur précision dans la définition raciale et la possibilité de retirer la citoyenneté à certains groupes. L’exemple le plus marquant est celui des lois interdisant les mariages mixtes entre Blancs et Noirs ou autres « races », adoptées alors par plus de trente États américains — ce qui constituait quasiment un cas unique au monde à l’époque, en dehors des projets nazis en gestation. Les juristes allemands voyaient dans ces lois non seulement un précédent juridique, mais aussi une légitimation possible de leurs propres politiques extrêmes. Dans certains cas, les nazis jugèrent même le système américain « trop radical » : par exemple, la fameuse « one-drop Rule » américaine (l’idée qu’une seule goutte de sang noir, aussi lointaine soit-elle, suffisait à rendre une personne noire aux yeux de la loi) parut excessive à certains officiers nazis, qui préféraient limiter leurs recherches généalogiques à deux générations seulement.

Au-delà de la ségrégation « Jim Crow » du Sud, Whitman insiste sur l’ensemble du corpus des lois raciales américaines : qualifications pour la naturalisation conditionnées à la race (lois sur l’immigration de 1882, 1924), eugénisme et stérilisation forcée des « inaptes », privation du droit de vote par intimidation ou politiques électorales discriminantes. Tout ceci formait, selon les nazis, un arsenal juridique dont ils pouvaient s’inspirer pour éliminer les Juifs, mais aussi aux Roms et autres minorités, tout droit civique et toute possibilité de s’intégrer à la société allemande.
Pour Whitman, les archives sont sans ambiguïté : lors des réunions préparatoires des lois de Nuremberg, les Américains servaient « d’autorité » en matière de droit racial. « Le désir des plus radicaux était de criminaliser les mariages mixtes, et l’Amérique fournissait non seulement un modèle, mais pratiquement le seul modèle existant au monde pour ce faire » écrit-il. Il ajoute que les nazis n’admiraient pas aveuglément le système américain, reconnaissant parfois sa brutalité extrême, mais ils en voyaient une illustration du possible : la démocratie américaine, supposément championne des valeurs libérales, démontrait paradoxalement que l’ordre racial pouvait être instauré et maintenu au sein d’un régime moderne et avancé.
En conclusion, l’analyse minutieuse de James Q. Whitman prouve que les lois raciales nazies, loin d’être sorties du néant ou d’un contexte exclusivement européen, ont été construites en bonne partie à partir du modèle américain. Ce dialogue juridique transatlantique, puisé dans l’histoire sombre de la ségrégation, a joué un rôle crucial dans l’élaboration du système discriminatoire nazi. L’inspiration provenait autant de la diversité des lois américaines que de l’efficacité perçue de celles-ci — un héritage complexe et lourd de sens pour l’histoire contemporaine.