
Irving Brown, né en 1911 à Chicago et mort en 1989 à Paris, fut un syndicaliste américain aux multiples facettes, jouant un rôle central dans la lutte anticommuniste en Europe de l’Ouest au cours de la Guerre froide, notamment en France. Il est surtout connu pour ses liens étroits avec la CIA et son implication dans la création du syndicat Force Ouvrière (FO) en France, ainsi que pour son rôle controversé dans les milieux du pouvoir et des syndicats pendant plusieurs décennies.
Carrière et parcours
Issue d’une famille engagée politiquement il est le fils d’un adjoint de Kerensky, ancien chef du gouvernement provisoire russe Brown commence sa carrière de boxeur puis devient un syndicaliste actif aux États-Unis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il sert comme lieutenant dans l’United States Army et est chargé par l’OSS (Office of Strategic Services, ancêtre de la CIA) de préparer les débarquements en Sicile et en Provence en 1944. Après-guerre, il s’installe en France où il dirige à partir de la fin des années 1950 les relations internationales de l’AFL-CIO (American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations) depuis un bureau parisien rue de la Paix.
Il est connu pour sa combativité syndicale dans les années 1930 aux États-Unis, notamment en animant d’importantes grèves dans l’industrie automobile, où il a bataillé contre des syndicats communistes et la mafia des Teamsters.
Liens avec la CIA et rôle dans la French Connection
Irving Brown est largement considéré comme un agent influent de la CIA en Europe, bien qu’agissant parfois de manière semi-autonome. Il utilise les fonds du Plan Marshall et du Free Trade Union Committee (FTUC), un instrument commun avec la CIA pour le financement des syndicats « libres », pour affaiblir les syndicats communistes, en particulier la CGT en France, très influente et liée au Parti communiste.
Dans ce contexte, Brown joue un rôle-clé dans le financement et la création de FO en 1947, un syndicat dissident de la CGT destiné à affaiblir l’influence communiste dans les milieux ouvriers français. Il organise la scission en soutenant financièrement et logistiquement Léon Jouhaux et André Bergeron, figures centrales de FO. Selon Yvonnick Denoël, le soutien financier initial vient d’abord des syndicats américains puis de la CIA, qui souhaite ainsi un contrepoids syndical au PCF et à la CGT.
Par ailleurs, Brown est impliqué dans ce qui est appelé la « French Connection », le réseau mafieux corse spécialisé dans le trafic d’héroïne entre Marseille et les États-Unis. Selon Frédéric Charpier, la CIA, via des financements et appuis logistiques, aurait aidé les clans mafieux corses (notamment les Guérini à Marseille) à interrompre les grèves portuaires pour garantir le transit des marchandises dans le cadre du Plan Marshall. Cette collaboration indirecte a simultanément permis à ces clans mafieux de développer le trafic de drogue vers les États-Unis.

Rôle dans la création du syndicat Force Ouvrière

La création de FO est la pièce maîtresse de l’action syndicale d’Irving Brown. Dès 1946, il soutient activement la scission au sein de la CGT avec l’objectif clair d’affaiblir le syndicat communiste. Il offre des locaux, de l’argent, des ressources à FO, et met en œuvre un important travail d’influence pour pérenniser ce syndicat. FO est né pour être une organisation syndicale indépendante des communistes, avec un axe clairement anticommuniste, soutenu par les États-Unis via Brown et la CIA.
FO bénéficie d’un soutien logistique et financier important notamment de la part de l’AFL-CIO et de syndicats européens alliés, ce qui lui permet de disposer d’un poids conséquent dans le paysage syndical français face à la CGT.

Implications politiques et internationales
Au-delà de la France, Brown est actif dans la lutte contre les influences communistes dans plusieurs pays, notamment en Grèce où il lutte contre les communistes, au Chili contre Allende, et en Algérie où il finance des mouvements nationalistes dans l’espoir de placer le pays sous influence américaine – un échec selon les sources. Il est également participant au Congrès pour la liberté de la culture, un front intellectuel anticommuniste très actif pendant la Guerre froide.
Au fil des années, Brown développe une influence importante non seulement dans le domaine syndical mais aussi dans l’action politique indirecte, agissant comme un agent discret de la CIA dans la bataille idéologique contre le communisme en Europe.
Irving Brown fut une figure stratégique au croisement des syndicats, des services secrets américains et du monde politique français de la seconde moitié du XXe siècle. Agent déclaré ou officieux de la CIA, il a orchestré avec le soutien américain la scission de la CGT et la création du syndicat Force Ouvrière, utilisé comme levier pour contrôler et contenir l’influence communiste dans le mouvement ouvrier.
Son rôle dans la renommée French Connection démontre la complexité et l’ambiguïté des liens entre services de renseignement, milieux syndicaux et mafia dans l’après-guerre, avec des choix stratégiques parfois douteux visant à préserver les intérêts américains en Europe.
En résumé, Irving Brown fut un acteur clandestin majeur de la guerre froide syndicale en France, reflétant la politique américaine d’endiguement communiste à travers des méthodes mêlant financement, soutien logistique, compromis avec des milieux douteux et actions d’influence politique.