
Depuis plus de quarante ans, la French-American Foundation (FAF) s’est imposée comme un dénicheur d’élites transatlantiques. Créée en 1976 pour renforcer le dialogue entre la France et les États-Unis, elle est surtout connue pour son prestigieux programme Young Leaders . Chaque année, une vingtaine de personnalités françaises et américaines prometteuses, issues des sphères politiques, médiatiques, économiques ou culturelles, sont sélectionnées pour un cycle de rencontres de haut niveau. Une simple opportunité d’échanges ? Officiellement oui. Mais en observant la liste des diplômés, une question saute aux yeux : pour réussir en France, faut-il d’abord recevoir un adoubement venu d’outre-Atlantique ?

Un vivier de futurs dirigeants français
Le palmarès est éloquent :
- Emmanuel Macron (promotion 2012), aujourd’hui Président de la République, avait été coopté alors qu’il était encore banquier d’affaires chez Rothschild.
- Édouard Philippe (promotion 2011), ancien Premier ministre et probable candidat à la présidentielle, fait aussi parti des anciens.
- Alain Juppé (promotion 1981), ancien Premier ministre et figure centrale de la droite française, fut parmi les premiers à intégrer ce réseau.
- François Hollande (promotion 1996), avant même d’accéder à l’Élysée, participe à ce programme qui anticipait déjà son destin présidentiel.
- D’autres ministres récents comme Arnaud Montebourg , Marisol Touraine ou Amélie de Monchalin ont également été « choisis ».

Cette liste impressionnante brouille la frontière entre hasard et stratégie. Est-ce chanceux que tant de futurs chefs d’État et de gouvernement figurent parmi les
Young Leaders ? Ou faut-il comprendre qu’un passage par cette fondation constitue un prérequis tacite pour accéder aux rêves du pouvoir ?
Médias : le quatrième pouvoir converti
Plus troublant encore, les Young Leaders ne concernent pas uniquement les responsables politiques. Plusieurs figures de la presse française, ayant un poids considérable dans le façonnage de l’opinion, en font partie.
- Christine Ockrent , journaliste influente et ex-directrice de l’Audiovisuel extérieur de la France, a été sélectionnée dès les années 1980.
- Laurent Joffrin , longtemps directeur de Libération puis du Nouvel Observateur .
- David Kessler , ancien directeur de France Culture et conseiller culturel à l’Élysée, également formé par ce programme.

L’inclusion des journalistes et éditorialistes interroge particulièrement, car elle constitue une passerelle directe entre politique et médias. Quand ceux qui dirigent les journaux ou les télés se retrouvent « formés » et réseautés dans le même cadre que ceux qui aspirent à gouverner, le débat public ne risque-t-il pas d’être biaisé, orienté, voire aligné ?
Illusion d’indépendance
Ces trajectoires révèlent un entrelacement subtil de réseaux, où la frontière entre démocratie nationale et soft power américain se dissout. Les États-Unis ne forcent rien : ils sélectionnent, accueillent, séduisent. Et ceux qui deviennent, une décennie plus tard, présidents, ministres ou éditorialistes, auront noué de solides liens affectifs et intellectuels avec leurs paires américaines. Par habitude, fidélité, ou simple alignement réflexe, leurs positions géopolitiques s’inscrivent souvent dans la continuité de l’axe Washington-Bruxelles.
Une démocratie sous tutelle feutrée
Bien sûr, il ne faut pas verser dans la théorie du complot : être Young Leader ne signifie pas être un agent américain. Mais la répétition des profils, et leur concentration dans les cercles de pouvoir, finit par créer un biais structurel. Si les principales figures médiatiques et politiques d’un pays émergent toutes d’un même vivier transatlantiste, qu’advient-il de la pluralité des trajectoires, de l’indépendance des idées, de la confrontation démocratique ?

Précurseur ou filtre invisible ?
L’appartenance au programme est rarement mise en avant par les intéressés eux-mêmes, au contraire d’un diplôme de l’ENA ou de Sciences Po. Est-ce parce qu’ils pressentent que cette légitimité n’a rien de véritablement « national », et pourrait nourrir des soupçons d’ingérence ? Pourtant, dans les faits, cette labellisation fonctionne comme un filtre invisible : pour intégrer les hautes sphères, mieux vaut être reconnue par la Fondation franco-américaine que par les urnes seules.
La Fondation Franco-Américaine incarne la sophistication ultime du soft power : sélectionner, reconnaître, et insérer dans un réseau. Ce n’est pas une conspiration cachée, mais un processus assumé de « mise en relation » avec les élites américaines. Le problème n’est pas l’existence de ces échanges, mais l’asymétrie qu’ils créent : presque tous nos dirigeants de premier plan y sont passés, comme si la souveraineté française avait besoin d’une validation extérieure.
Dans ce contexte, la question devient brûlante : les Français élisent-ils librement leurs gouvernants, ou ratifient-ils des choix pré-orientés par un réseau transatlantique qui, au fil des décennies, s’est imposé comme l’antichambre quasi obligée du pouvoir ?