
La guerre civile finlandaise
La guerre civile finlandaise s’est déroulée de janvier à mai 1918, dans une Finlande toute fraîchement indépendante, proclamée le 6 décembre 1917 suite à la chute de l’Empire russe. Cet affrontement sanglant oppose deux camps idéologiquement et socialement polarisés : les Rouges, majoritairement des ouvriers et paysans liés au mouvement social-démocrate et soutenus par la jeune Russie soviétique, et les Blancs, conservateurs, nationalistes, et bourgeois soutenus notamment par l’Allemagne impériale. Cette guerre reflète un moment critique de transition, marqué par des tensions sociales profondes et la lutte entre révolution et ordre conservateur.
Militairement, la guerre s’est caractérisée par plusieurs phases d’offensives et de contre-offensives, notamment pour le contrôle des axes ferroviaires stratégiques. Les Rouges, concentrés dans les centres urbains et industriels du Sud, étaient mieux armés mais manquaient d’un commandement centralisé et d’officiers expérimentés. Les Blancs, commandés par le général Carl Gustaf Emil Mannerheim, ont consolidé leurs positions au centre et au Nord, bénéficiant d’un leadership plus discipliné et d’un soutien logistique allemand.

La bataille décisive de la guerre fut celle de Tampere, bastion rouge solidement défendu, qui tomba le 6 avril 1918 après un siège et des combats de rue particulièrement violents. Cette victoire ouvrait la voie à la victoire finale des Blancs, qui se confirma en mai 1918. La guerre civile laissa un bilan humain extrêmement lourd : environ 36 600 morts, dont près de 9 700 exécutions sommaires et environ 13 400 victimes des conditions atroces dans les camps de prisonniers, principalement des Rouges. Le rapport des pertes entre Rouges et Blancs était très inégal, avec environ six victimes rouges pour chaque blanc.

Le triste sort réservé aux vaincus est l’un des chapitres les plus sombres de cette guerre. Après la victoire des Blancs, de nombreuses représailles sanglantes furent perpétrées. Les prisonniers rouges furent enfermés dans des camps dans des conditions déplorables : surpopulation, sous-alimentation, maladies et exécutions ciblées y firent des ravages. Plusieurs camps, comme ceux de Tampere ou Helsinki, sont tristement célèbres pour leur taux de mortalité. Au-delà de la répression militaire, les Rouges et leurs sympathisants furent marginalisés politiquement, socialement et économiquement pendant des décennies. Cette division a créé une fracture sociale durable en Finlande qu’il fallut des années pour commencer à combler.
La croix gammée : une première apparition en Europe
Un des faits moins connus mais fascinants de la guerre civile finlandaise est la première apparition de la croix gammée comme symbole militaire européen, bien avant son association nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, dès 1918, l’armée de l’air finlandaise adopta la croix gammée stylisée comme insigne national sur ses avions et bannières, une décision prise peu après l’indépendance.
Ce symbole, d’origine très ancienne et largement répandu à travers différentes cultures, fut choisi en Finlande comme un signe de chance et de protection. Il fut popularisé par l’aristocrate suédois Eric von Rosen, ami proche des officiers finlandais, qui en fit don d’un avion arborant ce symbole aux forces finlandaises. Von Rosen avait un lien familial avec Hermann Göring, futur chef de la Luftwaffe nazie, ce qui contribua plus tard à l’instrumentalisation du symbole par le régime nazi, mais à l’époque, il n’avait aucune connotation extrême politique.

L’utilisation de la croix gammée en Finlande dura effectivement jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et ce n’est que récemment, en 2017, que la Finlande a décidé de retirer discrètement ce symbole de ses avions militaires afin d’éviter l’ambiguïté liée à son image nazie aujourd’hui omniprésente. Cette adoption est un exemple frappant de commentaire d’un symbole peut traverser les époques avec différentes significations selon les contextes historiques.
L’exil d’Otto Wille Kuusinen, figure rouge de la guerre civile
Parmi les personnalités du camp rouge, Otto Wille Kuusinen est une figure marquante. Homme politique, intellectuel marxiste finlandais, il joue un rôle important dans le mouvement socialiste finlandais avant et pendant la guerre civile. Après la défaite des Rouges, Kuusinen dut fuir la Finlande pour échapper à la répression.

Son exil le conduit en Union soviétique, où il s’investit dans la politique communiste internationale. Kuusinen fut l’un des fondateurs du Parti communiste de Finlande en exil, basé à Moscou, et devint un cadre influent dans le mouvement communiste de l’Internationale. Son parcours symbolise la continuité du combat politique rouge malgré l’écrasement militaire en Finlande.
Kuusinen a survécu aux Grandes Purges staliniennes qui décimèrent la direction du Parti communiste finlandais. Pendant la guerre d’Hiver (1939-1940), il fut placé à la tête du gouvernement fantoche de la République démocratique finlandaise, installé à Terijoki, à la frontière finlandaise. Après l’échec de cette tentative d’intégration de la Finlande à l’URSS, il devint président du Soviet suprême de la République socialiste soviétique carélo-finnoise (1940-1956) et membre du Présidium du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique.
Aino Kuusinen : espionne, déportée sous Iejov
Aino Kuusinen, née également sous le nom de Aino Tuomi, fut la seconde épouse d’Otto Wille Kuusinen. Elle fut une militante communiste finlandaise engagée, connue pour son rôle d’espionne au service de l’Union soviétique. Formée dans le cadre de l’Internationale communiste, elle fut envoyée en mission à l’étranger, notamment en Europe, dans le but de soutenir les réseaux communistes et de recueillir des informations.

Cependant, pendant les Grandes Purges staliniennes dans les années 1930, alors qu’elle évoluait dans l’appareil soviétique, Aino Kuusinen fut elle-même arrêtée. Sous la direction de Nikolaï Iejov, le chef du NKVD, elle fut déportée dans les camps de travail du Goulag, en raison des soupçons et des purges qui frappèrent massivement le Komintern, y comprenant beaucoup d’étrangers ou d’exilés.
Elle a survécu aux conditions extrêmement difficiles de la déportation et des camps, retournant finalement à Moscou après sa libération. Après la Seconde Guerre mondiale, elle écrivit ses mémoires qui éclairent à la fois la complexité de la vie des communistes finlandais exilés en URSS et les tragédies internes liées aux purges staliniennes.
Son histoire illustre l’ambiguïté et la difficulté du combat communiste à ce moment-là, forcément entaché par la terreur politique, où même les militants dévoués n’étaient pas à l’abri de la répression.

La guerre civile finlandaise est un épisode clé de l’histoire nationale, marqué par des luttes intenses, un lourd prix humain et des cicatrices durables au sein de la société finlandaise. La première utilisation de la croix gammée en Europe pendant ce conflit montre la complexité et le glissement des symboles à travers le temps. La figure d’Otto Wille Kuusinen, en exil, témoigne de la persistance de la cause rouge hors du territoire finlandais. Enfin, le parcours tragique d’Aino Kuusinen, espionne et victime des purges staliniennes, rappelle que la quête révolutionnaire fut aussi marquée par la répression interne et par les tensions cruelles à l’intérieur du camp communiste.