Octobre 1944 : la bataille du Val d’Aran et le rêve brisé des Républicains espagnols.

Maquisards communistes espagnols dans les Pyrénées.

À l’automne 1944, tandis que l’Europe entière s’ouvrait à la reconquête démocratique grâce aux défaites allemandes à l’est comme à l’ouest, une troupe de volontaires espagnols tenta de rallumer la flamme de la République dans les Pyrénées. Cet épisode, connu sous le nom de bataille du Val d’Aran, illustre à la fois l’audace des combattants aguerris par des années de guerre et la froide realpolitik des Alliés. Car ces mêmes hommes qui ultérieurement de libérer Paris dans les rangs de la 2e Division Blindée furent ensuite abandonnés à leur sort face au régime franquiste.

Des exilés devenus libérateurs

La Guerre civile espagnole s’est achevée en 1939 par la victoire de Franco et le départ en exil de près d’un demi-million de réfugiés. Beaucoup se retrouvèrent internés dans de camps du sud de la France, d’autres s’engagèrent dans les rangs de la Résistance ou dans les unités régulières de l’armée française libre. La 2e Division Blindée du général Leclerc, notamment, comptait plusieurs centaines de républicains espagnols.

Le 24 août 1944, la colonne commandée par le capitaine Raymond Dronne entre dans la première dans Paris insurgé. Les half-tracks de la « Nueve », compagnie composée en écrasante majorité de vétérans espagnols, portaient encore sur leur blindage les noms évocateurs de Guadalajara, Teruel ou Madrid, en souvenir des batailles perdues contre les franquistes. Pour ces hommes, la libération de Paris n’était qu’une étape : leur horizon, leur espoir ultime, restait Madrid.

Ouvrage de référence sur la Nueve.

Le projet de l’UNE et de Jesús Monzón

Dans les mois qui suivent la libération du sud de la France, un courant se forme dans les rangs des exilés. Sous l’égide de l’Union nationale espagnole (UNE), organisation impulsée par le Parti communiste espagnol avec le soutien de Moscou, fut conçue une opération hardie : pénétrer en Espagne par les Pyrénées, déstabiliser le régime franquiste et provoquer une insurrection intérieure.

À la fin de septembre 1944, près de 4 000 guérilleros furent mobilisés. Aguerris par la guérilla dans le sud-ouest de la France, par leur expérience en Afrique du Nord ou dans l’armée régulière, ils entreprennent une offensive massive à travers la vallée d’Aran, en Haute-Garonne. Cette poche, enclavée en territoire espagnol et difficile d’accès, semblait offrir le terrain idéal pour établir un bastion républicain provisoire.

Combattants républicains espagnols dans le Val d’Aran.

L’offensive dans les Pyrénées

Le 19 octobre 1944, les troupes républicaines franchisent les sommets enneigés et se lancent à l’assaut des garnisons franquistes du Val d’Aran. Armés d’armes légères, parfois soutenus par quelques mortiers ou mitrailleuses héritées des maquis français, les guérilleros s’emparèrent d’une série de villages, coupant les voies de communication et cherchant à établir une tête de pont stable. Leur mot d’ordre : proclamer une « Junta de Gobierno » républicaine pour rallumer la légitimité de l’Espagne républicaine face au monde.

Combattants républicains espagnols dans le Val d’Aran.

Mais Franco, prévenu de l’attaque, avait déployé d’importants renforts. L’armée franquiste, encadrée par la Guardia Civil et appuyée par l’aviation, réagit avec vigueur. Les combats autour de Vielha, au cœur de la vallée, furent particulièrement intenses. Le rapport de force se révèlea bientôt écrasant. Après une dizaine de jours de résistance, harcelés par le froid, les difficultés logistiques et l’absence d’appui extérieur, les guérilleros durent battre en retraite vers la France.

Le silence des Alliés

L’échec de l’opération du Val d’Aran s’explique certes par un rapport de force militaire défavorable, mais surtout par la solitude politique dans laquelle se trouvèrent les républicains espagnols.

En 1944, Franco restait en place malgré sa proximité idéologique avec Hitler et Mussolini. Les Alliés, éclatés entre la priorité donnée à l’écrasement du Reich et la complexité des équilibres diplomatiques, n’envisageaient pas d’ouvrir un nouveau front dans la péninsule ibérique. Londres et Washington, déjà préoccupés par l’avance soviétique en Europe centrale, redoutaient qu’un renversement de Franco n’offre à Moscou une influence durable en Espagne.

Ainsi, dans cette « croisade pour la liberté » que représente la Seconde Guerre mondiale, l’Espagne franquiste demeura une exception tolérée. Les combattants de la « Nouvelle » et des maquis pyrénéens, qui avaient versé leur sang pour libérer la France, furent abandonnés à leur tour devant les barbelés d’une Europe que les Alliés ne souhaitaient pas élargir à la chute d’un dictateur certes autoritaire, mais jugé stable et anticommuniste.

Une mémoire héroïque et amère

L’échec du Val d’Aran, en octobre 1944, marque une rupture. Beaucoup de républicains ont conscience que ni Washington ni Londres ne porteraient leur cause. Leur lutte retourna dans la clandestinité des maquis espagnols, poursuivie sporadiquement mais sans perspective d’appui extérieur. Franco, paradoxalement, sortit renforcé de l’épisode, conforté par le sentiment que son régime pouvait survivre à l’isolement international.

Il fallut attendre la fin des années 1970 et la mort du dictateur pour que l’Espagne retrouve par elle-même le chemin de la démocratie.

Combattants républicains espagnols dans le Val d’Aran.

Aujourd’hui encore, le souvenir des Espagnols de la « Nueve », entrés dans Paris le 24 août 1944, et celui des guérilleros du Val d’Aran restent intimement liés. Ils rappellent qu’au cœur de la victoire de 1945 se trouvait aussi une blessure : celle d’un peuple républicain sacrifié sur l’autel de l’équilibre des puissances.

Le Val d’Aran n’a pas seulement été une bataille militaire : il fut le dernier grand cri d’espérance des républicains espagnols. Une espérance brisée par la volonté des Alliés de limiter leur croisade en Europe à la seule défaite du nazisme, en acceptant le maintien au pouvoir d’un Franco devenu, pour le bloc occidental, un pion stratégique plus utile qu’encombrant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut