Opération Samson : la bombe atomique israélienne.

Depuis les origines d’Israël, la quête d’une dissuasion atomique s’inscrit dans un contexte d’insécurité extrême régionale, motivée par l’hostilité de ses voisins et la volonté d’assurer la survie de l’État juif. Déjà avant la création de l’État en 1948, David Ben Gourion avait pressenti que l’avantage stratégique pourrait être obtenu grâce à la maîtrise de l’arme nucléaire. Cette conviction s’est renforcée après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, qui révélèrent la puissance unique de cette arme, incitant Israël à développer un programme nucléaire secret stratégique dès 1949 au sein du corps scientifique de Tsahal, le HEMED.

La coopération franco-israélienne : la genèse nucléaire

Dans les années 1950, Israël, soucieux d’acquérir un savoir-faire nucléaire, a trouvé un allié inattendu en France. Le contexte historique est marqué par la guerre d’Algérie et la volonté française de s’assurer d’un soutien de Tel-Aviv contre le régime égyptien de Nasser, perçu comme un havre pour les indépendantistes algériens. Cette convergence d’intérêts permet de nouer une coopération militaire et scientifique. Israël a obtenu une aide technique, notamment du Commissariat à l’énergie atomique français, pour construire le réacteur nucléaire de Dimona dans le désert du Néguev, inauguré en 1963. Ce réacteur, obligatoirement civil, fut en réalité conçu pour la production d’armes nucléaires. Israël coopère avec la France en échange d’un appui militaire, notamment l’achat d’avions Mirage III et d’armement lourd.

La centrale de Dimona en 1960.

Shimon Peres, alors dirigeant israélien, joua un rôle déterminant dans ce partenariat : successivement directeur général du ministère de la Défense, il négocia directement avec des responsables français afin de faire avancer le programme nucléaire. Cependant, la discrétion était de mise, car le président français Charles de Gaulle, craignant l’impact diplomatique de cette collaboration et soucieux de sa politique au Moyen-Orient, exigea en 1960 la fermeture progressive de la coopération nucléaire, posant ainsi une limite à l’avancement israélien côté français. Malgré cette pression, Dimona continue ses activités nucléaires sous contrôle militaire israélien strict, correspondant à toute inspection approfondie étrangère.

Shimon Pères en 1961.

L’opposition américaine et le rôle de James Angleton

Dans ce contexte, les États-Unis, sous la présidence de John F. Kennedy, adoptèrent une posture ambiguë mais clairement réticente à la prolifération nucléaire israélienne. Kennedy demande à Israël des garanties sur la nature civile du réacteur et exerce des pressions pour que Tel-Aviv accepte les inspections internationales. Ces efforts restèrent vains face à la détermination constante.

Un personnage clé dans cette phase fut James Jesus Angleton, chef du contre-espionnage à la CIA, dont le rôle reste longtemps obscur. Angleton entretenait des privilèges privilégiés avec les services secrets israéliens (Mossad) et permettait à Israël d’obtenir des renseignements sensibles, caractéristique de fait que les États-Unis arrêtaient ou ralentissaient le programme. Seymour Hersh, dans son ouvrage « The Samson Option », révèle comment Angleton, malgré la pression de la Maison Blanche, fait obstruction aux tentatives de Kennedy, fournissant à Israël un accès aux secrets militaires américains sur la technologie nucléaire et aidant à contourner les embargos et contrôles.

James Angleton.

Angleton a joué un rôle d’intermédiaire dans le transfert informel d’informations et dans la protection des opérations nucléaires israéliennes, défiant l’administration américaine elle-même. Cette duplicité permet à Israël de poursuivre secrètement ses essais et ses fabrications, notamment en obtenant des plans et matériaux indispensables via des réseaux clandestins, y compris l’espionnage ciblé.

L’aboutissement de la bombe atomique israélienne

Dans les années 1960, sous la direction de David Ben Gourion et avec la collaboration discrète mais déterminante d’éléments américains et français, Israël réussit à construire un arsenal nucléaire opérationnel dès 1966. Ce succès fut gardé dans le secret le plus absolu. Lors de la Guerre des Six Jours en 1967, cet arsenal fut prêt à être activé en dernier recours, constituant une dissuasion redoutable face à la coalition arabe. La doctrine stratégique spécialisée, qualifiée plus tard « d’option Samson », matérialise cette capacité nucléaire comme une assurance ultime contre l’extinction de l’État.

Malgré les pressions internationales, Israël refuse d’adhérer au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), préférant maintenir une ambiguïté stratégique élaborée. Cette posture permet de conserver un effet de surprise dissuasif tout en entraînant la reconnaissance officielle qui aurait pu déclencher une prolifération régionale.

La doctrine israélienne et l’ambiguïté contrôlée

Au fil des décennies, la « doctrine Samson » s’est construite autour du concept d’une arme nucléaire jamais utilisée mais crédible comme ultime moyen de défense. Ce flou délibéré sur son arsenal permet aujourd’hui à Israël d’éviter une escalade nucléaire tout en conservant une suprématie dissuasive au Moyen-Orient. La possession de missiles balistiques Jéricho, d’avions et sous-marins capables de transporter des ogives nucléaires illustre cette ambivalence volontaire.

Seymour Hersh souligne que cette politique nucléaire israélienne, bien que secrète, a été rendue possible par des complicités intellectuelles et opérationnelles au sein des puissances occidentales, notamment la France puis les Etats-Unis, y compris au plus haut niveau dans la CIA avec James Angleton. Ce dernier fut un facilitateur décisif, souvent contre les injonctions explicites de la Maison Blanche, incarnant la complexité et les zones d’ombre des alliances au cœur de la Guerre froide.

Seymour Hersh.

Une alliance ambiguë et une puissance nucléaire émergente

L’acquisition de la bombe atomique par Israël résultant d’un mélange d’alliances douteuses, d’espionnage avisé et de détermination stratégique, selon Seymour Hersh. La coopération française des années 1950 permet de poser les bases industrielles et scientifiques du programme, tandis que la protection du renseignement américain, sous la houlette de James Angleton, permet de contourner les obstacles politiques, notamment la réprobation de Kennedy.

En définitive, cette conjonction a donné naissance à une puissance nucléaire régionale singulière, naviguant entre secret, pression internationale et nécessité existentielle. Israël, en développant son « option Samson », a changé la donne stratégique du Moyen-Orient, imposant un nouveau paradigme de dissuasion fondé sur la discrétion et la maîtrise du nucléaire, une réalité longtemps tenue dans l’ombre avant d’être révélée par des enquêteurs comme Seymour Hersh.

Ainsi, l’histoire de la bombe atomique israélienne est autant une histoire de science et technologie que celle d’alliances, de trahisons et de manœuvres clandestines à plus haut niveau, marquant durablement la géopolitique nucléaire mondiale.

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