
La famine du Bengale, qui sévit en 1943 dans la province britannique du Bengale (actuellement Bangladesh et État indien du Bengale occidental), est l’une des plus grandes tragédies humanitaires du XXe siècle en Inde. Pendant la Seconde Guerre mondiale, entre 800 000 et 3,8 millions de personnes souffrent de faim, de paludisme et de maladies liées à la malnutrition aggravée, dans cette région à économie essentiellement agricole. Selon les estimations, la majorité des victimes étaient des paysans pauvres et des ouvriers agricoles subissant une pauvreté extrême, vivant souvent en état de semi-famine chronique bien avant la crise majeure.
L’économie stagnante du Bengale, combinée à une croissance démographique rapide et à une diminution de la production agricole, a créé une insoutenabilité structurelle. Ces facteurs furent exacerbés par la guerre, les mauvaises récoltes, la spéculation sur les denrées, les perturbations logistiques dues à l’effort de guerre britannique et surtout par les politiques coloniales britanniques qui privilégièrent l’industrie de guerre sur le ravitaillement local. Le résultat fut une famine dévastatrice qui brisa les familles et força des migrations massives vers les villes en quête de secours, souvent en vain.

Tariq Ali : critique marxiste de Churchill et du colonialisme britannique
Le penseur marxiste Tariq Ali a souligné que la famine n’était pas une simple catastrophe naturelle ou résultant d’erreurs administratives, mais un crime politique imputable au gouvernement britannique, et en particulier à Winston Churchill, alors Premier ministre. Dans ses analyses partagées dans des documentaires et essais, Ali montre que Churchill manifeste dès le début un mépris pour les souffrances du peuple bengali, préférant allouer les ressources alimentaires au front européen et aux colonies blanches plutôt qu’à une population colonisée.

Ali évoque également la politique délibérée de « nettoyage » économique, selon lui liée à un racisme colonial profond. La famine servit, selon lui, à renforcer le contrôle impérial en affaiblissant la résistance locale et en imposant la discipline par la peur de la faim. L’arrogance impériale et la priorité absolue donnée à la guerre en Europe sont incarnées, selon Ali, dans le refus de Churchill de rediriger les stocks alimentaires indispensables vers le Bengale en crise, bien qu’il en ait eu la capacité matérielle.

Madhusree Mukerjee : preuves documentées dans « Churchill’s Secret War »
Dans son livre « Churchill’s Secret War », Madhusree Mukerjee offre un travail minutieux d’archive démontrant que Winston Churchill et son cabinet ignorent indépendamment les appels à l’aide alimentaire venant du Bengale. Elle documente que, malgré plusieurs alertes envoyées par les autorités coloniales et une crise grandiose, les vies furent retardées, certains stocks exportés hors d’Inde, et la réponse humanitaire limitée par une gestion war room qui considéra les Indiens comme des « sujets mineurs » du Reich.

Mukerjee met en lumière des échanges télégraphiques où Churchill se montre insensible, voire hostile, aux appels en faveur d’un détournement de ressources alimentaires vers le Bengale. Elle note que les tentatives de secours furent constamment freinées, et que le rationnement draconien britannique accompagna une politique de priorité aux forces armées blanches, au détriment des populations indiennes. Sa recherche insiste sur le fait que la famine ne fut pas due seulement à la guerre ou à des causes naturelles, mais à un choix politique colonial raisonné qui cause la mort de millions de personnes.

La responsabilité historique et morale de Churchill
La question de la responsabilité de Churchill dans la famine bengali est controversée mais largement documentée chez certains historiens critiques. Son rôle direct est mis en cause par l’ampleur des décisions politiques qu’il dirigea ou permet. Alors que le gouvernement colonial était averti depuis des mois, il refusa d’utiliser le pouvoir de la flotte britannique pour acheminer les denrées alimentaires indispensables vers le Bengale, en priorisant l’effort de guerre en Europe et dans d’autres théâtres.

Par ailleurs, le racisme latent dans la politique impériale britannique se manifeste dans les propositions attribuées à Churchill, qui aurait minimisé et méprisé les morts bengalis, qualifiant la famine de « faute des Indiens » pour leur « surpopulation ». Cette grille d’analyse montre que la famine fut en partie une conséquence directe d’une indifférence raciale et stratégique dont Churchill fut le visage le plus connu.

La famine du Bengale de 1943 fut une tragédie humaine majeure, exacerbée par les logiques coloniales et les choix de guerre britanniques sous Winston Churchill. Les travaux de Tariq Ali et Madhusree Mukerjee convergent pour faire de Churchill non un simple témoin impuissant, mais un acteur responsable de ses décisions politiques, son racisme et sa priorité donnée aux intérêts impériaux au détriment de millions de vies bengalies. La famine reste ainsi un exemple tragique de la brutalité du colonialisme durant la Seconde Guerre mondiale.


