
Durant la guerre froide et sous le régime de l’apartheid, Israël et l’Afrique du Sud ont développé une relation secrète mais très stratégique dans le domaine militaire, notamment nucléaire. Cette coopération illustre un échange mutuelment bénéfique où chacun des deux États cherchait à surmonter son isolement géopolitique et sécuritaire par le biais de l’arme nucléaire.
Contexte stratégique et politique
L’Afrique du Sud, sous régime d’apartheid, était internationalement isolée à partir des années 1970, confrontée à des sanctions et à un embargo sur les armes imposées notamment par l’ONU en 1977. Dans ce contexte d’isolement et de pression politique croissante, le gouvernement sud-africain a choisi de développer un arsenal nucléaire comme moyen de dissuasion et de levier diplomatique face aux menaces extérieures, notamment des régimes voisins liés aux mouvements anti-apartheid et révolutionnaires. Par ailleurs, l’uranium abondant sur le sol sud-africain mettait le pays en position favorable pour constituer une base solide de matière première nucléaire.
Israël, lui aussi entouré d’ennemis régionaux, avait amorcé son programme nucléaire dans le secret, soutenu notamment par l’aide de pays occidental comme la France et la Grande-Bretagne. Son installation la plus célèbre, la centrale nucléaire de Dimona, n’a jamais été inspectée par l’AIEA. Israël est supposé posséder aujourd’hui plus de 200 armes nucléaires, consolidant sa position de puissance régionale dissuasive.
Échanges et coopération
La coopération nucléaire entre Israël et l’Afrique du Sud a pris plusieurs formes. Selon des documents et témoignages déclassifiés, Israël a fourni une expertise technique cruciale à l’Afrique du Sud pour accélérer la production de ses armes nucléaires. Israël aurait même permis en 1979 à l’Afrique du Sud de tester des armes nucléaires dans l’océan Indien, bien que cela ait été nié officiellement par Tel Aviv.
Un accord top secret intitulé « Chalet », négocié dans les années 1970, prévoyait la vente de missiles israéliens munis de têtes nucléaires à l’Afrique du Sud et le renforcement de la coopération militaire entre les deux pays. Ce projet n’a jamais été réalisé, mais témoigne de la profondeur des liens entre ces deux puissances nucléaires secrètes.
Israël était également le principal fournisseur d’armes classiques de l’Afrique du Sud dans les années 1980. De son côté, l’Afrique du Sud fournissait à Israël un approvisionnement stable en uranium, matériau essentiel pour le programme nucléaire israélien.

La visite officielle de John Vorster en Israël en 1976
En avril 1976, le Premier ministre sud-africain John Vorster a effectué une visite officielle très remarquée en Israël. Accueilli avec tous les honneurs par son homologue israélien Yitzhak Rabin et d’autres hauts responsables, la visite fut la première d’un chef de gouvernement sud-africain en plus de 25 ans. Vorster, bien que porteur d’un passé pro-nazi marqué (il avait été membre actif de la milice nationaliste Ossewabrandwag durant la Seconde Guerre mondiale, une organisation sympathisante d’Hitler), a reçu un accueil chaleureux.
Lors de son séjour, il visite notamment Yad Vashem, le mémorial de l’Holocauste, et déclare son incompréhension face à la tragédie juive, qualifiant Israël « de réponse à cette tragédie ». Cette déclaration fut empreinte d’ironie compte tenu de son passé.

La visite officialise un rapprochement stratégique marqué par la signature d’accords économiques et militaires. Israël vit dans cette alliance un soutien contre un environnement régional hostile, alors que l’Afrique du Sud considérait l’État hébreu comme un partenaire dans sa lutte contre les sanctions et les mouvements anti-apartheid. Des négociations sur la fourniture d’armes avancées, incluant les avions de chasse Kfir et les missiles Gabriel, furent également conduites.

Ce rapprochement fait par ailleurs l’objet de critiques internationales, notamment de la part des États africains et de certains pays occidentaux, mais Israël défendit cette relation comme une solidarité mutuelle entre deux nations isolées et entourées d’hostilités.

L’incident Vela et l’aveu d’Aziz Pahad
Un moment clé dans la relation nucléaire fut le mystérieux incident Vela survenu le 22 septembre 1979. Le satellite américain Vela a détecté un double flash lumineux caractéristique d’un essai nucléaire dans l’océan Indien, près des territoires sud-africains. Si effectivement les États-Unis évoquèrent un phénomène naturel, cet incident est largement interprété comme un test nucléaire conjoint israélo-sud-africain.
Ce test, non confirmé officiellement, fut néanmoins évoqué par le politicien sud-africain Aziz Pahad, membre du gouvernement post-apartheid, qui a reconnu publiquement cet essai nucléaire conjoint. Des experts et historiens corroborent cette version, soulignant qu’à l’époque l’Afrique du Sud n’aurait pas disposé seule de la capacité technologique nécessaire et que l’expertise israélienne était déterminante.

Développement de l’arsenal sud-africain
À partir de la fin des années 1970, l’Afrique du Sud a accéléré secrètement la production d’armes nucléaires. En une dizaine d’années, Pretoria a bâti un arsenal d’environ six bombes nucléaires de 15 à 20 kilotonnes chacune, avec une septième en construction lors du démantèlement. Ce stock servait d’instrument de dissuasion face aux menaces extérieures et de levier politique.
Démantèlement avant la transition
Avant la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain a décidé en secret de démanteler son arsenal nucléaire afin de rassurer la communauté internationale et garantir une transition pacifique vers la démocratie. De 1989 à 1991, toutes les armes furent détruites, les sites fermés, et l’uranium enrichi déclassé. L’Afrique du Sud adhère au Traité de non-prolifération nucléaire et ouvre ses installations à l’inspection.
Ce choix visait à éviter que l’arsenal ne tombe sous le contrôle du futur gouvernement de l’ANC, largement soutenu par des puissances étrangères. Ce démantèlement reste un exemple unique de désarmement nucléaire volontaire.

La collaboration nucléaire clandestine entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid fut un partenariat stratégique crucial pendant la guerre froide. La visite officielle de John Vorster en Israël en 1976 symbolise un rapprochement politique malgré un passé controversé, et fut suivi par des accords militaires significatifs. L’incident Vela de 1979, désormais confirmé comme un essai nucléaire conjoint grâce notamment à l’aveu d’Aziz Pahad, reste un moment clé de cette coopération.
L’arsenal nucléaire sud-africain, fruit de décennies de travail commun, fut démantelé avant la transition démocratique vers l’ANC, marquant un précédent historique en matière de désarmement volontaire.


