L’opération « Jette ton Pain » : lorsque les victimes deviennent bourreaux.

L’opération « Jette ton Pain » (« Cast Thy Bread ») menée par la Haganah en 1948 représente un épisode controversé de la guerre israélo-arabe qui a suivi la déclaration d’indépendance d’Israël. Cette opération visait à empoisonner les puits de villages palestiniens abandonnés afin d’empêcher le retour des habitants palestiniens et de gêner l’avancée des armées arabes, qui utilisaient parfois ces villages comme bases logistiques. L’objectif était double : consolider les conquêtes territoriales de la Haganah et empêcher la réutilisation des villages par les forces ennemies, dans un contexte où la destruction physique des infrastructures ne suffisait pas toujours à garantir leur inutilisation.

Contexte et déroulement :

  • L’opération a été décidée au plus haut niveau, notamment par David Ben Gourion, le 31 mars 1948, alors que la Haganah cherchait à sécuriser les territoires conquis face à l’arrivée imminente des armées arabes après la fin du mandat britannique
  • L’empoisonnement des puits a été réalisé à l’aide de substances biologiques, selon des recherches historiques récentes, bien que l’État d’Israël ait longtemps gardé le secret sur ces actions et n’ait pas signé la convention internationale interdisant l’usage d’armes biologiques.
  • Cette stratégie s’inscrivait dans une logique de « terre brûlée », déjà connue dans l’histoire militaire, visant à priver l’ennemi de ressources essentielles.

Paradoxe historique et accusations antisémites :

L’ironie tragique de cette opération réside dans le fait que, pendant des siècles, les Juifs d’Europe ont été faussement accusés d’empoisonner les puits, notamment lors de la peste noire au XIVe siècle. Cette accusation, totalement infondée, a servi de prétexte à de nombreux pogroms, tortures et expulsions à travers l’Europe, causant la mort de milliers de Juifs. Ces rumeurs étaient un pilier de l’antisémitisme médiéval et moderne, alimentant la haine et justifiant les persécutions.

Comment la Haganah a-t-elle pu mener une telle opération malgré ce lourd héritage ?

  • Raison d’État et contexte de guerre totale : En 1948, la priorité absolue de la Haganah était la survie et la sécurisation du futur État d’Israël face à une menace existentielle. Cette urgence militaire a primé sur les considérations symboliques ou historiques, même si l’opération risquait de rappeler les pires calomnies antisémites du passé.
  • Secret et dissimulation : L’opération est restée secrète pendant des décennies, précisément parce que ses responsables étaient conscients de la gravité morale et symbolique de l’acte, et de la possibilité qu’il soit utilisé contre Israël dans la propagande adverse.
  • Différence de contexte : Pour les responsables de la Haganah, il s’agissait d’une action militaire ciblée dans un contexte de guerre, et non d’un acte gratuit ou d’une campagne de haine contre une population pour des motifs religieux ou raciaux. Cette distinction, bien que réelle sur le plan stratégique, n’efface pas le choc éthique et symbolique de l’opération, ni ses conséquences sur la mémoire collective.

Conséquences et mémoire :

  • L’opération « Jette ton Pain » a laissé une trace durable dans la mémoire palestinienne et alimente encore aujourd’hui les récits de la Nakba et les accusations contre Israël, parfois instrumentalisées dans des discours politiques contemporains.
  • Elle démontre la complexité des choix faits en temps de guerre, où la nécessité militaire peut entrer en collision avec l’histoire, la morale et la mémoire collective, y compris celle d’un peuple longtemps victime de calomnies similaires.

En somme, l’opération « Jette ton Pain » illustre un paradoxe douloureux de l’histoire contemporaine : un peuple persécuté par une accusation infondée se retrouve, dans un contexte de guerre, à employer une tactique qui rappelle tragiquement cette même accusation, au nom de sa propre survie nationale.

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