
Les relations entre l’OTAN et les Loups Gris turcs à l’époque des réseaux Gladio illustrent la complexité des stratégies anticommunistes durant la Guerre froide, où la lutte contre l’influence soviétique a conduit à des alliances ambiguës entre États occidentaux, services secrets et mouvements ultranationalistes.
Contexte de la Guerre froide et des réseaux Stay-Behind
Après la Seconde Guerre mondiale, l’OTAN, avec le soutien de la CIA, met en place des réseaux clandestins dits Stay-Behind dans de nombreux pays européens, dont la Turquie, pour préparer une résistance en cas d’invasion soviétique. En Italie, ce réseau est connu sous le nom de Gladio, mais des structures similaires existent partout en Europe occidentale, y compris en Turquie sous le nom d’Özel Harp Dairesi (Département de guerre spéciale).
Les Loups Gris: bras armé du nationalisme turc
Les Loups Gris (Bozkurtlar), fondés dans les années 1960, sont la branche paramilitaire du Parti d’action nationaliste (MHP). Leur idéologie est ultranationaliste, néofasciste et violemment anticommuniste. Ils sont responsables de milliers d’assassinats politiques dans les années 1970, principalement contre des militants de gauche, des Kurdes, des Arméniens et des minorités religieuses.
Collaboration avec l’État et les réseaux clandestins
Durant les années 1970 et 1980, les Loups Gris entretiennent des liens étroits avec la CIA et les réseaux Stay-Behind de l’OTAN. Leur rôle est d’agir comme force de choc contre l’influence communiste en Turquie, pays clé du flanc sud de l’Alliance atlantique. Ils participent à des opérations de contre-guérilla, souvent en collaboration avec les services secrets turcs (MIT) et l’armée, pour éliminer les opposants de gauche et les minorités perçues comme menaçant l’intégrité de l’État turc.
Le chef du renseignement turc de l’époque, Mehmet Eymür, a reconnu que l’État utilisait les Loups Gris pour des opérations spéciales contre l’ASALA (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie), le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et la gauche révolutionnaire.
Exemples d’opérations et d’implication dans la violence politique
Les Loups Gris sont impliqués dans des massacres, comme celui de Kahramanmaraş en 1978 (plus de 100 morts parmi les Alévis), des assassinats ciblés de militants de gauche, et la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II par Mehmet Ali Ağca, membre du groupe. Ils participent aussi à des opérations de terreur contre les communautés arméniennes et kurdes, en Turquie comme en Europe.
Mafia, trafic et financement occulte
Le groupe développe des liens avec la mafia turque et contrôle des routes de trafic de drogue, ce qui lui permet de financer ses activités et d’étendre son influence, tout en servant les intérêts de l’État turc dans la lutte contre les mouvements séparatistes et la gauche radicale.
Ambiguïté et instrumentalisation
L’État turc et ses alliés occidentaux, dans le contexte de la Guerre froide, ont vu dans les Loups Gris un outil efficace pour contenir la menace communiste. Cette instrumentalisation s’est faite au prix d’une violence extrême et d’une déstabilisation durable de la société turque. Les réseaux Gladio et leurs homologues turcs ont ainsi favorisé l’essor d’une mouvance ultranationaliste, difficile à contrôler après la fin de la Guerre froide.
Bilan et héritage
L’implication des Loups Gris dans les réseaux Stay-Behind de l’OTAN a laissé un héritage trouble. Si leur action a pu servir les intérêts stratégiques occidentaux à court terme, elle a aussi contribué à l’enracinement de la violence politique, de la criminalité organisée et de l’ultranationalisme en Turquie. Aujourd’hui encore, les Loups Gris restent actifs et continuent d’exercer une influence sur la politique turque et sur les diasporas turques en Europe.