Les services secrets allemands ont soutenu le FLN pendant la Guerre d’Algérie.

Légionnaires allemands pendant la guerre d’Algérie

La guerre d’Algérie (1954-1962) fut un théâtre d’affrontements non seulement entre la France et le FLN, mais aussi entre puissances étrangères jouant leurs intérêts dans l’ombre. Parmi celles-ci, la République fédérale d’Allemagne (RFA), qui venait à la fois d’intégrer l’Alliance atlantique et de se doter d’un service de renseignement moderne, le Bundesnachrichtendienst (BND), dirigé par Reinhard Gehlen, semble avoir tenté d’exercer une influence sur la dynamique de la décolonisation et de la restructuration du Maghreb.

Le contexte de la guerre froide et des intérêts allemands

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne de l’Ouest cherche à se positionner comme un acteur international autonome. A la fin des années 1950, Berlin-Ouest tente de s’attirer les bonnes grâces des pays arabes, récemment sortis du colonialisme, dans le cadre de la lutte d’influence avec l’Union soviétique et la RDA. Pour cela, la RFA mobilise son service secret, le BND, qui développe une politique active dans le monde arabe, autant pour recueillir du renseignement que pour nouer des alliances avec des mouvements indépendantistes, dont le FLN algérien.

Un soutien multiforme au FLN algérien

L’action du BND en faveur du FLN ne fut jamais totalement univoque ni massive, mais s’appuya sur plusieurs volets concrets :

  • Formation et assistance technique : Le BND envoya ses agents former les services de sécurité en Égypte, en Syrie et au Soudan, où se trouvaient alors les principaux relais du FLN. A travers ces coopérations, les services allemands entraient en contact direct avec le gouvernement provisoire de la République algérienne et le FLN, leur procurant à la fois du renseignement et une expertise en sécurité
  • Aide à la fabrication et à l’acheminement d’armes : Des réseaux allemands et autrichiens de gauche, mais aussi issus de la CDU chrétienne, aidèrent à acheter et livrer des armes à la résistance algérienne. Les renseignements militaires français documentent la création d’ateliers d’armement au Maroc (Nador, Tétouan) dirigés par des ingénieurs allemands, fournissant au FLN grenades et mines.
  • Aide à la désertion des légionnaires allemands : Plusieurs réseaux animés par des Allemands et soutenus implicitement par le BND ont favorisé la fuite de plus 4 000 légionnaires d’origine allemande servant dans la Légion étrangère française, un vivier crucial pour l’armée française en Algérie. Ces légionnaires étaient « retournés » et pris en charge, particulièrement à Tétouan, avant d’être exfiltrés selon des filières balisées par les services allemands, leur offrant argent, passeports et appuis diplomatiques.

Le « double jeu » du BND et son chef Gehlen

Reinhard Gehlen, chef historique du BND et architecte du renseignement ouest-allemand, était un homme pragmatique pour qui la lutte contre le communisme n’excluait pas l’exploitation d’opportunités dans le tiers-monde. Selon diverses sources, Gehlen permit parfois aux services français d’opérer sur le territoire allemand contre les réseaux FLN, tout en autorisant, dans le même temps, l’élaboration par le FLN de plans de sabotage audacieux visant la France. Cette ambiguïté, typique de la realpolitik des services secrets dans cette période postnazie et ultracompétitive, souligne la complexité des rapports entre Gehlen, la France et le FLN.

Reinhard Gehlen 

Le rôle de Von Mende, « l’ adjoint aux affaires musulmanes »

A côté de Gehlen, l’une des figures centrales de ce jeu diplomatique fut Gerhard von Mende, responsable du département des « affaires musulmanes » au sein du BND et héritier d’une longue expérience de manipulation des exilés musulmans soviétiques pendant et après le conflit mondial. Von Mende a mis en œuvre une politique de « dialogue » stratégique avec les représentants du FLN et d’autres nationalistes arabes, structurant nombre de réseaux d’influence allemands en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Son rôle fut notamment de coordonner les contacts entre le BND, les filières d’aide matérielle, l’accueil des déserteurs et l’appui à la propagande indépendantiste dans les pays arabes.

Gerhard Von Mende 

Un soutien discret mais significatif

Si le BND n’a jamais livré d’armes massives de façon officielle au FLN, il a, par tolérance, facilitation ou action concertée, contribué à renforcer le front indépendantiste algérien. Le FLN profita ainsi d’un creuset de contacts entre diplomatie, renseignement, activisme religieux (notamment avec d’anciens convertis allemands à l’islam) et milieux industriels prêts à fournir du matériel sensible. Ce concours de circonstances éclaira la vulnérabilité de la France à l’internationalisation du conflit algérien, le tout sur fond de rivalités internes à l’Allemagne de l’Ouest et de logiques de guerre froide.

L’aide du BND allemand au FLN incarne la complexité de la guerre d’Algérie où les acteurs étatiques, à commencer par Gehlen et son adjoint Von Mende, jouaient sur tous les tableaux pour peser sur l’avenir du Maghreb. Cette stratégie, à la fois opportuniste et orientée par le souci de nouer de futures alliances commerciales et stratégiques dans l’aire méditerranéenne, a durablement influencé la décolonisation et les relations franco-allemandes.

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