« A House of Dynamite », ce film américain sur ces professionnels des holocaustes, en situation, si aimable pour cet Etat profond…

Depuis le 24 octobre de cette année, Netflix a mis en ligne un film de 130 minutes, co-produit, qui n’est pas passé par le réseau des salles de cinéma, « A House of Dynamite », réalisé par Kathryn Bigelow, écrit par Noah Oppenheim (1). L’histoire peut être résumée en moins de 10 lignes : au coeur du plus haut niveau de décisions, politiques et militaires, des Etats-Unis (Maison Blanche, Pentagone, CIA, NSA), quelques uns des dirigeants qui ont un pouvoir de décision apprennent qu’un missile nucléaire dont le point de départ n’a pas été repéré par leurs moyens de surveillance est en vol et que, dans les minutes qui suivent son avancement, il est établi que sa trajectoire peut le conduire à atteindre le sol des Etats-Unis (hors Hawaï). Assistés par des conseillers et des attachés militaires, ils doivent prendre des décisions.

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Attention : à partir d’ici, il y a des informations (spoils) sur l’ensemble du récit, sa structure et… ses problèmes.
Après « Zero Dark Thirty », la réalisatrice américaine nous propose un nouveau film dont les « héros » sont les dirigeants américains, politiques et militaires. Alors que les Etats-Unis sont dirigés par un individu grossier, qui insulte les citoyens américains qui s’opposent à lui, qui demande ou décide le licenciement de ceux qui ne lui conviennent pas selon ses caprices et selon son application de la doctrine néo-libérale la plus radicale et selon le projet 2025, qui menace concrètement des pays comme le Venezuela par une intervention militaire, qui a assisté Israël dans ses bombardements sur Gaza et sur l’Iran, et, derrière lui, par des fanatiques qui rêvent d’une « Apocalypse » planétaire (pour accélérer le retour de Jésus, selon leurs croyances délirantes), le film présente des dirigeants aseptisés, dont, évidemment, un président noir, à qui la fiction attribue le devoir de décider d’une extermination planétaire…

Et ce sont eux qui sont présentés comme les dirigeants d’un pays attaqué, alors que ce sont les Etats-Unis qui, aujourd’hui, sont l’Etat le plus puissant, belliqueux : pour le Pentagone, il y a  764 000 employés civils, pour 1,3 million membres des forces armées (Armée, Marine, Air Force, Marines, Garde côtière) , soit plus de 2,1 million personnes qui travaillent quotidiennement pour le Pentagone et l’ensemble du Département de la Défense; pour l’exercice fiscal 2024 , le budget de la défense s’est élevé à 831,8 milliards USD, soit 770 milliards d’euros, soit 200 milliards de plus que le budget étatique français moyen ces 10 dernières années ((hors budgets annexes et comptes spéciaux). Autrement dit : ensemble, les armées américaines forment un Etat dans les Etats. Ces centaines de milliards financent des bases militaires, 128 bases réparties dans 49 pays (pour 14 bases au Japon, 9 au Philippines), pour un total de 4 800 sites militaires. Concernant les armes nucléaires, et ce selon des chiffres officiels dont il est logique de douter de leur exactitude, le stock total estimé en 2024 était de 3 700 têtes nucléaires, incluant les têtes déployées (1770), placées sur les systèmes de la triade stratégique (missiles balistiques intercontinentaux, missiles balistiques lancés depuis sous‑marins, bombardiers), en réserve (1938) et retirées (1336) mais non encore démantelées.

Officiellement, aucune de ces armes ne serait, en permanence, en vol, et ce depuis la fin du programme d’alerte aérienne « Chrome Dome » (abandonné après l’accident de Thule en 1968) et la mise hors service du « Ground Alert » en 1991, les bombardiers stratégiques (B‑52, B‑2, B‑1, futur B‑21) ne transportent plus de charges nucléaires en vol de routine, mais les forces aériennes maintiennent une capacité d’alerte – c’est‑à‑dire que les avions peuvent être armés et décollés en moins de 15 minutes. Un des aspects du film concerne leur ensemble de systèmes de défense antimissile, destiné à intercepter des missiles balistiques, y compris ceux qui pourraient être équipés d’ogives nucléaires. Le film évoque cette capacité d’interception, et ses limites actuelles (supposées). A ce jour, les Etats-Unis sont le seul pays au monde à avoir usé, deux fois, d’une arme atomique contre un autre pays (le Japon, avec Hiroshima et Nagasaki), actes militaires d’extermination de masse pour lesquels il n’y a eu aucune poursuite juridique internationale. En moins de 10 décennies, les États‑Unis ont aussi mené des essais nucléaires massifs, évalués à plus de 1 000 explosions. Actuellement, l’Etat fédéral américain est celui qui est le plus agressif contre un certain nombre d’autres Etats, par des actes, ou en intention.

Le film est donc doublement fictif : ce qu’il évoque ne s’est, heureusement, pas produit, mais en outre ce qu’il évoque n’a pas une grande probabilité de réalité, alors qu’une action militaire américaine, nucléaire, l’est infiniment plus. Il est absolument désolant et dégoûtant de constater qu’une certaine presse française évoque ce film, dont le sujet ne peut être plus tragique, avec une telle légèreté, avec, par exemple, le titre de « Libération », « A House of Dynamite » de Kathryn Bigelow : c’est de la bombe » (rangé dans la catégorie « Thriller »), ou alors, la conclusion, superficielle, dramatique, de « Télérama », « Kathryn Bigelow n’incrimine personne. Elle pose juste la question : quelle est donc cette folie qui nous a poussés et qui nous pousse encore aujourd’hui à programmer la destruction possible de notre planète ? ». Or, EN EFFET, Katryn Bigelow n’incrimine personne, HELAS : comme si les 8 milliards d’êtres humains pouvaient être associés et accusés de cette « folie », alors que ce sont seulement moins de 10 Etats qui possèdent de telles armes, menacent les autres peuples, la paix mondiale, l’existence des peuples humains et du vivant. Et parmi ces 10 Etats, les Etats-Unis sont les plus dangereux et menaçants. Enfin, le film est dangereux, parce que, pour des consciences portées à l’homicide humain le plus massif, il incite au désir de VOIR ce que le film, lui, ne montre pas : la réalité d’une extermination de masse.

Mais, hélas, comment être surpris que des américains ne soient pas capables de parler de ce sujet avec le sérieux qui lui est dû, puisqu’ils sont en permanence immergés dans cette machine mortelle… ? Enfin, en laissant entendre que les Etats-Unis ne sont pas réellement, assez, protégés, le film pourrait inciter les dirigeants américains actuels à augmenter toujours plus leurs investissements militaires, soit plus de la moitié du total des dépenses militaires mondiales, alors que des millions de citoyens américains pâtissent de manques, de logements accessibles, de travail, de soins médicaux.

Noah Oppenheim : né en 1978, américain, il a été formé à Harvard, est un producteur télévisuel, ex président de NBC News, un scénariste pour des œuvres du cinéma et de la télévision

1 réflexion sur “« A House of Dynamite », ce film américain sur ces professionnels des holocaustes, en situation, si aimable pour cet Etat profond…”

  1. Jean-Marc Nauts

    Merci pour cette analyse percutante. Le titre seul est déjà une gifle et le reste suit avec une précision chirurgicale. On sent la tension, la lucidité, et surtout l’urgence de ne pas laisser ces récits s’installer sans riposte. Bravo pour ce travail de décodage.

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