
Combien de Bétharram dans le monde ?
C’est la réflexion qui m’était venue suite aux révélations d’agressions psychologiques, physiques et sexuelles d’élèves de 1957 à 2013 dans l’établissement scolaire catholique Notre-Dame de Bétharram dans le Béarn, qui comptent à ce jour deux cents plaintes contre six prêtres et deux laïcs. L’affaire étouffée pendant des décennies est sortie en faisant scandale quelques mois après que François Bayrou, maire de Pau, soit nommé Premier ministre. L’élu béarnais a nié avoir jamais eu connaissance des faits à l’époque, alors qu’il était ministre de l’Éducation Nationale, président du Conseil départemental, qu’un de ses fils y suivait sa scolarité et que sa femme y enseignait le catéchisme. Un juge chargé d’enquêter sur un prêtre accusé de viol sur un élève, avait même eu un entretien avec lui en 1998 pour l’informer. François Bayrou avait refusé d’y croire. Il a contesté la date et la teneur de l’échange. Le père d’un élève agressé, une enseignante, une infirmière scolaire qui avaient alerté sur les violences, avaient été écartés ou menacés de représailles s’ils persistaient dans leurs propos. Indépendamment du fait que François Bayrou pouvait difficilement ne pas savoir – ce que les révélations de sa fille ont montré – cette affaire renvoie à l’omerta qui touche ces milieux traditionnels. Ne pas faire de vague, se taire, est la consigne à respecter et peu importe la gravité des faits. Ils sont trop monstrueux venant de prêtres pour être crédibles…
Cela relève de l’impensé et cache également un racisme social car tous les élèves n’étaient pas concernés, uniquement des orphelins ou de parents divorcés, les enfants de notables étant « protégés » de ces agissements. Une commission d’enquête parlementaire a été ouverte à la mi-mars sur les violences en milieu scolaire qui a auditionné François Bayrou. Des élèves d’autres établissements confessionnels du pays se sont manifestés entre-temps (« Affaire de Bétharram : la chronologie des faits », Le Monde, 20 mars 2025).
Les couvents de La Madeleine
Suite à un colloque à l’université Paris I-La Sorbonne en 2016, j’ai publié sous mon nom dans un ouvrage collectif (Mékouar-Hertzberg, Urdician, 2018) un article « Folie et mélancolie : de l’enfermement des folles et ‘’filles perdues’’ à la créativité d’artistes à la folie douce » (p. 135-151). J’évoque les « filles perdues » du couvent de La Madeleine, appelé Blanchisserie de La Madeleine, le premier asile fondé le 11 juin 1765 par Lady Arabella Denny en Irlande, à Dublin. Des filles, rejetées par la société, souvent adolescentes, y étaient enfermées contre leur gré pour travailler sous la direction de religieuses. Le dernier couvent de La Madeleine en Irlande a été fermé le 25 septembre 1996. La Madeleine faisait référence à Marie-Madeleine dans la Bible. C’étaient des pénitentes mises au travail dans les laveries, comme Marie-Madeleine qui lavait les pieds du Christ en signe de repentir, ce qui permettait des rentrées d’argent pour l’entretien des couvents. Quatre ordres, Les sœurs de la Miséricorde, Les sœurs de la Charité, Les sœurs de Notre-Dame de la Charité du refuge et Les sœurs du Bon Pasteur géraient dix établissements en Irlande. L’objectif était de réhabiliter les filles « perdues » qui avaient eu des relations sexuelles hors mariage, se sont prostituées, avaient subi des abus sexuels et (ou) à la sexualité jugée trop précoce. Elle étaient sous surveillance continue, interdites de quitter l’établissement, encouragées à entrer dans les ordres et obligées d’appeler les sœurs « mères ». La règle du silence était imposée jusqu’à la moitié du XIXe siècle et les châtiments corporels pratiqués. L’automutilation et le refus de s’alimenter des filles étaient ignorés par les religieuses.

Les mères célibataires, les jeunes filles trop aguicheuses ou simplement jolies, étaient considérées comme des handicapées sociales et internées sur requête des familles ou de prêtres. Celles qui étaient seules, étaient enfermées à vie. Beaucoup ont prononcé leurs vœux. L’invention de la machine à laver a mis un terme aux couvents. En 1993, un scandale a éclaté lorsque les corps incinérés de cent cinquante-cinq pensionnaires ont été découverts dans une fosse commune. En 1998, des internées ont témoigné sur Channel 4 des abus sexuels, des sévices psychologiques et physiques, de l’isolement forcé, qu’elles avaient subis après des décennies de silence dues à la honte. L’état irlandais a reconnu l’asservissement de plus de dix mille femmes de 1922 à 1996. Les populations près des couvents étaient parfaitement au courant et les appelaient même les Maggies. À ces époques de puritanisme victorien, la sexualité féminine était réprimée et ce n’était pas du sadisme mais une bonne action que de réhabiliter ces femmes pour les protéger des « flammes de l’enfer »… Peter Mullan raconte leur calvaire dans un film The Magdalene Sisters (2002) qui a reçu le Lion d’Or à la 59e Mostra de Venise.
Une délinquante-née
En ces temps-là, le lien entre migration et aliénation était fait, considérant les vagabondes comme des « déchets sociaux », atteintes de manie ambulatoire et donc antisociales, parasitaires et antihygiéniques engendrant vols, crimes, prostitution, contagion syphilitique, vénérienne, épileptique voire hystérique. Les migrations féminines à la liberté sexuelle frappaient l’imaginaire et portaient atteinte à la sécurité du pays. La vagabonde aliénée était une « machine violente » tout comme l’ouvrière nomade, une « prostituée » ou une femme « délinquante-née ». Ce sont les travaux en 1903 du criminologue italien Cesare Lombroso (1835-1909) avec ce titre extraordinaire… La Donna deliquente, la Prostitua e la Donna normale, qui en arrive à ces conclusions. Également, on pensait que les femmes malades devaient être soignées dans des asiles, afin de ne pas porter atteinte à la sécurité publique du fait de leur « attraction énergique » mais dangereuse. Il fallait impérativement les isoler afin d’atténuer leur nocivité et de prévenir par un contrôle social, les foyers de dégénérescence. La femme aliénée, frappée « d’hérédité maladive », était alors considérée comme l’ennemie de la société, à l’image des filles du couvent de La Madeleine qui n’étaient en aucun cas folles mais, dérangeaient l’ordre social.
Aussi les affaires de violence physique et psychologique, de pédophilie dans les établissements de confession religieuse de par le monde ont toujours existé, bénéficiant de non-dits, de la peur des représailles en cas de révélation et de complicités. Ces crimes, très souvent impunis qui touchent tous les milieux, pas seulement religieux, brisent des vies entières sans que personne ne s’en inquiète.
Un enseignant me disait qu’un collègue, l’année précédant son arrivée dans une école, pendant les récréations tripotait les petites filles dans les toilettes… Suite aux plaintes des parents, il avait été muté de Seine-Saint-Denis en Bretagne !? L’Éducation Nationale ne règle pas le problème, elle le déplace… Également faire des signalements pour les enseignants sur des élèves soupçonnés de par leur comportement perturbé en classe de subir des agressions sexuelles, est très périlleux. Le plus souvent, le courrier finit au fond d’un tiroir…
Selon la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), seulement 3 % des viols et agressions sexuelles sur des enfants font l’objet d’une condamnation des agresseurs et seulement 1 % en cas d’inceste : des chiffres consternants…
« Oui, à la prévention. Non, à l’éducation à la sexualité à l’école »
Le programme EVARS (Éducation à la Vie Affective Relationnelle et Sexuelle) à partir de la maternelle, à raison de trois séances par an, sans que les parents ne soient informés de la date, va être mis en place dès la rentrée de septembre. C’est une initiation, soi-disant pour le bien-être de l’enfant, d’après moi à la sexualité pour adultes, qui sera délivrée par des associations insuffisamment qualifiées pour intervenir auprès d’un jeune public et (ou) clairement militantes LGBT. Il suffit pour s’en convaincre de lire le programme qui n’a d’affectif et de relationnel que le nom et tout de la banalisation de la pédophilie, au prétexte d’un consentement libre et éclairé qu’il faut apprendre aux enfants qui auraient soi-disant des « droits sexuels ». Or, un enfant jusqu’à l’adolescence n’est pas un être sexualisé dans le réel (Flores, 2024). Deux cent soixante-quinze parents ont exercé un recours contre le programme EVARS devant le Conseil d’État, pour abus de pouvoir. Le 27 juin dernier, le Conseil d’État a validé le programme EVARS le jugeant « conforme à la volonté du Parlement », selon un communiqué.
SOS Éducation a appelé à signer le 17 décembre 2024 une charte éthique en quarante principes, envoyée au Premier ministre et à la ministre de l’Éducation Nationale « Oui, à la prévention. Non, à l’éducation à la sexualité à l’école », qui compte déjà environ 184 000 signataires. En décembre 2023, un rapport détaillé rédigé par des spécialistes de l’enfance et l’adolescence avait été publié par l’association en partenariat avec Les Mamans Louves.

Une plateforme clandestine de 1,8 millions d’utilisateurs Kidflix a été en avril dernier démantelée par Europol et la police allemande. Depuis 2021, elle diffusait des contenus pédopornographiques avec des live streams d’horreurs – il n’y a a pas d’autre mot – payés en cryptomonnaie. Cela concerne trente-cinq pays, a donné lieu à soixante dix-neuf arrestations, mille quatre cents individus suspectés, la saisie de trois mille appareils électroniques avec des preuves accablantes. Un cybercriminel avait mis en ligne quatre-vingt onze mille vidéos d’abus sexuels sur mineurs. La plateforme était alimentée par 3,5 nouvelles vidéos par heure sur le dark web qui diffusait en direct les viols d’enfants parfois en bas âge, les utilisateurs communiquant entre eux et préparant activement l’exploitation de nouvelles victimes. Une plateforme baptisée Wikipedo, une encyclopédie à l’image de Wikipédia, qui vulgarisait et documentait les pratiques pédophiles, a également été découverte (« Pédocriminalité : démantèlement mondial du site monstrueux Kidflix, fréquenté par 1,8 million d’utilisateurs », Le Média 4-4-2, 4 avril 2025).
Et autres actualités
Une actualité en chasse une autre. Après Bétharram, on était passé à la peine d’inéligibilité de cinq ans de Marine Le Pen suite à l’affaire des parlementaires européens, décriée par les extrémistes de droite qui ont un vrai culte de la personnalité à son égard ; affaires déjà oubliées à l’heure qu’il est, recyclées en impopulaire réforme des retraites.
Mais, force est de constater que via cette condamnation par des juges soi-disant « rouges » (on aimerait qu’ils le soient beaucoup plus dans les affaires qui touchent des élus…), la candidature de Marine Le Pen aux Présidentielles de 2027 est remise en question.
Les mesures délirantes de taxations douanières de Donald Trump en sont une autre. La rupture avec Elon Musk qui a fait le buzz, était inévitable. Sa politique protectionniste en matière d’économie va entraîner une inflation notoire dans le pays en touchant prioritairement les plus pauvres, son électorat des classes populaires, ajoutée au mécontentement de ses alliés milliardaires dirigeants d’entreprise qui voient d’un mauvais œil ces mesures délétères pour le business international. Le principe de réalité finira t-il par le rattraper ?
La chasse aux sorcières en direction des émigrés illégaux et même légaux, qui pour beaucoup vivent et travaillent aux USA depuis des années, renvoie à une idéologie qui flatte et encense l’Amérique profonde. Je ne suis pas sûre que cela corresponde à un pays entièrement bâti sur l’immigration. Les émeutes en Californie à Los Angeles et dans d’autres états qui virent à la guerre civile, sont l’expression manifeste de cette politique ségrégationniste d’un autre temps.
Les conflits mondiaux en Ukraine, à Gaza (devant être rasée et transformée en Riviera…) auxquels soi-disant au nom de la paix, il devait mettre un terme dans les plus brefs délais, perdurent et sont loin d’être réglés, confortés par celui entre Israël et l’Iran dont les Américains ont bombardé les sites nucléaires sans les détruire. Dans l’Antiquité, Rome, la puissance mondiale de l’époque, n’a jamais réussi à vaincre et occuper la Perse, son ennemie historique… Une opposition de son propre camp contre la guerre – les guerres – se fait entendre de plus en plus dans le pays.
Aussi, Trump sauveur de l’humanité ? Il va falloir pour les fans redescendre sur terre…
Les meurtres d’enseignants, d’une surveillante, aux abords d’établissements scolaires sont symptomatiques d’une société et d’une jeunesse en perte de repères dont la seule réponse est la violence. Comment s’en étonner avec de plus en plus de jeunes enfants gavés de séries violentes sur Netflix et de pornographie pour adultes tout aussi violente !
Les confinements, les mesures sanitaires coercitives pendant la crise du Covid-19, le climat anxiogène entretenu quel que soit le domaine, ont dégradé la santé mentale des Français, plus particulièrement des jeunes (https://tribunepopulaire.com/linstrumentalisation-politique-de-la-peur/ 3 juin 2025). L’abandon par les autorités de l’école, de la médecine scolaire, de la psychiatrie, de l’hôpital, de la justice, du service public dans son ensemble, contribue largement à cette situation délétère.
Il y aurait beaucoup à dire sur les mesures préconisées par le gouvernement qui de mon point de vue, sont l’équivalent d’un cautère sur une jambe de bois… Les réponses démagogiques en direction d’une population effrayée en restreignant toujours plus les libertés publiques, elles, ne manqueront pas d’intervenir.
© Bettina Flores, 3 juillet 2025.