La lutte des Noirs aux USA a été subornée par la CIA.

Richard Wright.

Dans l’histoire des luttes afro-américaines aux États-Unis, la figure de Richard Wright, écrivain majeur et intellectuel engagé, offre une illustration particulièrement complexe des stratégies de manipulation culturelle qui agissent au cœur de la guerre froide. Ancien militant proche du Parti communiste américain, Wright s’est progressivement éloigné du communisme stalinien tout en gardant une critique aiguë des réalités raciales et économiques américaines. Cependant, loin de rester un simple dissident, il est devenu, à partir des années 1950, un acteur involontaire ou consentant d’une grande opération menée par la CIA visant à détourner les combats des Noirs américains, des revendications économiques marxistes en les recentrant sur des thématiques anticommunistes.

Cette stratégie est emblématisée par la métaphore du « Mighty Wurlitzer », un orgue de théâtre sur lequel Frank Wisner, chef de la Coordination des Opérations Politiques (OPC) de la CIA, prétendait pouvoir jouer n’importe quelle mélodie de propagande sur demande. Wisner, figure centrale de la guerre psychologique américaine entre 1947 et 1967, a orchestré la création et le financement d’un réseau tentaculaire d’associations, de médias, d’intellectuels, d’artistes et de militants issus des minorités ethniques, des syndicats, et d’autres groupes sociaux, pour servir la cause anticommuniste sous couvert de progrès social.

Frank Wisner.

Richard Wright fut l’une de ces personnalités intégrées dans ce vaste système d’influence. Après avoir quitté le Parti communiste en raison des purges staliniennes, Wright, par ses voyages en Europe et en Afrique, est devenu un porte-voix influent des Afro-Américains sur la scène internationale, notamment dans les congrès de Noirs intellectuels et artistes. C’est dans ce cadre qu’il prend contact avec les autorités américaines, notamment l’ambassade à Paris, pour offrir ses services à la lutte contre « l’influence communiste » lors du Congrès mondial des écrivains et artistes noirs à Paris en 1956. Il fut soutenu financièrement par des fonds secrets de la CIA, sous pavillon de l’« American Society for African Culture », une organisation de façade secrètement contrôlée par la CIA.

Fondation financée par la CIA.

Wright a contribué à l’ancienne délégation américaine envoyée à ce congrès pour contrer les positions pro-soviétiques, notamment celles exprimées par W.E.B Du Bois, qui fut empêché de voyager par le gouvernement américain, accusé de soutien du communisme. Wright lui-même ne cachait pas son ambivalence et sa frustration : il dénonçait l’hypocrisie de l’Occident, « levant la main pour combattre le communisme, il se trouvait poignardé dans le dos par le monde occidental ». Cette double contrainte montre la complexité de sa position, écartelé entre sa conscience de l’exploitation raciale et la pression politique exercée par l’appareil d’État américain.

W.E.B Du Bois.

Le « Mighty Wurlitzer » de Wisner ne se limitait pas à des figures isolées, mais s’étendait à une multitude de groupes et d’individus, tous baignés dans un dispositif de financement opaque (via des fondations, entreprises comme ITT, ou donateurs privés) et sous surveillance constante. Les dirigeants des organisations subventionnées devaient souvent prêter serment de secret, isolant ainsi les militants de leurs bases et le détournant des questions fondamentales de lutte de classe. L’objectif était clair : fragiliser l’alliance politique entre les luttes pour les droits civils et les revendications marxistes ou socialistes qui portaient une critique radicale de la propriété, du capitalisme et de l’exploitation.

Ouvrage sur la guerre psychologique menée par la CIA.

Cet appareil de guerre idéologique, mené par Frank Wisner et ses successeurs, fut un élément clé des campagnes américaines pour déployer une nouvelle hégémonie culturelle. En agissant sur des leaders d’opinion tels que Richard Wright, la CIA a réussi à imposer un cadrage culturel et politique dominant, qui valorise un militant anticommuniste souvent au prix d’une neutralisation des thèmes socio-économiques radicaux. Cette subornation ne se fit pas toujours avec la complicité éclairée des personnes impliquées — beaucoup furent instrumentalisées sans une pleine conscience du rôle qui leur était assigné, d’autres résistèrent ou exprimèrent des critiques internes.

La postérité de ce système, aujourd’hui largement documentée, invite à une relecture critique des dynamiques internes des mouvements afro-américains des années 1950-60. Elle montre que les luttes pour la justice raciale ont souvent dû naviguer dans un espace politique vicié par la guerre froide et la lutte contre l’URSS, où la CIA, par l’intermédiaire de Frank Wisner, joua un rôle central dans la définition des cadres idéologiques.

En conclusion, Richard Wright apparaît comme une figure emblématique de cette tension : écrivain engagé mais à la fois instrumentalisé dans une stratégie globale de la CIA. Son œuvre et son parcours témoignent des contradictions profondes entre la lutte contre le racisme et les impératifs d’une guerre froide idéologique où l’antimarxisme fut souvent utilisé pour diviser et affaiblir les mouvements populaires afro-américains

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