Parmi les constructions théoriques les plus influentes dans la pensée stratégique occidentale figure la théorie du Heartland, formulée par Halford John Mackinder au tournant du XXe siècle. Longtemps perçue comme la matrice intellectuelle des stratégies de containment et de refoulement pendant la guerre froide, elle continue de hanter les arrière-pensées des stratèges contemporains, en particulier dans le contexte de la montée des tensions en Eurasie.
Par contraste, la notion de Rimland, plus souple et moins doctrinale, désigne des zones de basculement, des espaces-charnières entre puissances terrestres et maritimes, souvent instrumentalisés dans les jeux d’influence mais rarement stabilisés.

Halford J. Mackinder, géographe britannique, publie en 1904 The Geographical Pivot of History, un texte fondateur de la géopolitique classique. Son postulat central : le pouvoir mondial dépend du contrôle de l’Eurasie centrale, espace qu’il appelle le Heartland.
Dans un monde où les voies maritimes ne permettent plus l’invulnérabilité impériale (comme c’était le cas pour l’Empire britannique), Mackinder redéfinit la puissance à travers la maîtrise de l’intérieur continental. Loin des rivages vulnérables, le Heartland possède une profondeur stratégique, des ressources abondantes, et une connectivité terrestre qui favorise l’émergence d’un empire autosuffisant.

Le Rimland n’est pas une notion formalisée par Mackinder, ni par ses successeurs directs. Il désigne plutôt un espace de contact, de friction, voire de fracture entre les puissances du Heartland (Russie, Chine) et celles de la Rimland (États-Unis, Europe occidentale, puissances maritimes).
Il s’agit d’un espace tampon : Europe centrale, Caucase, Asie centrale, Balkans, Moyen-Orient, Afghanistan… des zones qui, loin d’être périphériques, deviennent épicentres des conflits stratégiques.
Le Rimland est une zone de vulnérabilité systémique :
- C’est là que se déroulent les guerres hybrides (Ukraine), les révolutions de couleur (Géorgie, Kirghizstan), les interventions indirectes (Syrie) ;
- C’est un théâtre privilégié pour les politiques d’influence, via des ONG, des réseaux diasporiques, des infrastructures stratégiques (gazoducs, routes logistiques)

Les conflits du XXIe siècle confirment l’actualité stratégique du Rimland :
- Ukraine, Caucase, mer Noire : luttes pour l’accès aux mers et aux ressources ;
- Balkans, Moldavie, Biélorussie : zones de flottement post-soviétique ;
- Iran, Afghanistan, Pakistan : bascules entre axes sino-russe et occidental.
Dans ces zones, l’instabilité n’est pas un accident : elle est structurelle, voire entretien par les puissances elles-mêmes, pour empêcher un verrouillage durable de ces territoires.
CONCLUSION
La théorie du Heartland nous montre que contrôler le centre de l’Eurasie peut donner un avantage stratégique mondial. Ce centre – la Russie, la Sibérie, l’Asie centrale – reste un enjeu majeur pour les grandes puissances, même aujourd’hui.
Le Rimland, lui, représente les zones de tension entre l’Est et l’Ouest, entre les puissances continentales et maritimes. Ces régions – comme l’Ukraine, le Caucase ou le Moyen-Orient – sont souvent instables parce qu’elles sont au cœur des rivalités d’influence.
Aujourd’hui, ces idées restent utiles pour comprendre les conflits géopolitiques, même si la puissance ne dépend plus uniquement du territoire, mais aussi du numérique, de l’énergie ou des alliances.