Les amitiés nazies du Dalaï Lama.

Bruno Beger et le Dalaï Lama.

L’amitié entre le Dalaï Lama et plusieurs figures du nazisme Heinrich Harrer, Bruno Beger, Ernst Schäfer ainsi qu’avec le néonazi ésotérique chilien Miguel Serrano, constitue un sujet à la fois délicat et nourri par des enquêtes d’auteurs comme Albert Ettinger et Gilles Van Grasdorff. Ces œuvres soulignent que, loin d’être de simples anecdotes, ces liens interrogent l’imaginaire occidental autour du « Tibet mythique », tout en exposant les zones d’ombre de certains réseaux spirituels et politiques du XXe siècle.

Un contexte de fascination nazie pour le Tibet

Dès la fin des années 1930, l’Allemagne nazie manifeste un intérêt obsessionnel pour le Tibet, perçu comme un territoire à la croisée des théories pseudo-scientifiques sur l’aryanisme et les mythes occultistes. C’est dans ce contexte qu’est organisé, en 1938-39, l’expédition SS de Schäfer, qui rassemble des figures comme Bruno Beger, anthropologue et criminel de guerre notoire, chargé de démontrer l’existence d’« aryens » de type primitif parmi la population tibétaine, et Heinrich Harrer, alpiniste autrichien et membre du parti nazi puis de la SS.

Bruno Beger étudiant les caractéristiques raciales d’une Tibétaine.

Heinrich Harrer et le Dalaï Lama

Harrer, après avoir fui le camp britannique où il était interné en Inde pendant la Seconde Guerre mondiale, gagne le Tibet en 1946. Il y demeure sept ans, devenant le mentor et proche ami du jeune Dalaï Lama Tenzin Gyatso, avec qui il entretient une amitié durable jusqu’à sa mort.

Bien que certains défenseurs du Dalaï Lama aient tenté de minimiser l’engagement d’Harrer avec le nazisme, le passé du montagnard autrichien est bien documenté : il fut membre de la Sturmabteilung (SA), puis de la SS, et même photographié aux côtés d’Hitler. Pourtant, le Dalaï Lama n’a jamais renié son amitié avec Harrer, reconnaissant même son influence sur sa formation, ce qui pose question sur la manière dont cette relation fut entretenue voire exhibée publiquement dans la diaspora tibétaine.

Heinrich Harrer à la droite d’Hitler.

Bruno Beger et Ernst Schäfer

Bruno Beger reste un cas encore plus délicat : anthropologue racial de l’institut Ahnenerbe, il fut condamné pour ses crimes à Auschwitz, où il réalisa des expériences mortelles sur des détenus. Malgré ce passé, Beger fut invité en 1994, aux côtés d’Harrer, par le Dalaï Lama à Londres pour certifier publiquement l’indépendance du Tibet avant 1951. Une photographie de cette rencontre resta plus de dix ans sur le site officiel du gouvernement tibétain en exil, entérinant ainsi une proximité dérangeante avec le criminel nazi.

Quant à Ernst Schäfer, chef de l’expédition nazie au Tibet puis émissaire de Himmler, son amitié avec l’entourage du Dalaï Lama fut, selon Gilles Van Grasdorff, un relais essentiel de la politisation du mythe tibétain par les milieux SS.

Ernst Shäfer à Nuremberg;

Le cas Miguel Serrano, ami «d’Océan de Sagesse»

Miguel Serrano incarne un autre pan de cette nébuleuse : diplomate, essayiste chilien et idéologue de l’« hitlérisme ésotérique », il participe à la promotion de doctrines racistes mêlées d’orientalisme et de mythes occultistes. Serrano a revendiqué des relations avec le Dalaï Lama—même si la teneur exacte de leur amitié fait débat—et leur correspondance est parfois évoquée comme un signe de respect mutuel entre « Océan de Sagesse » et cet adorateur du « dernier avatar » qu’était Hitler selon Serrano.

Serrano, tel que le soulignant ses ouvrages et ses biographes, conçoit le nazisme comme une religion ésotérique vouée au culte d’une « race élue », fantasme alimenté par un syncrétisme mêlant traditions indo-européennes, hindouisme, mythes nordiques et doctrines SS. Les échos d’une admiration mutuelle entre le Dalaï Lama et Serrano, bien qu’absents de la documentation officielle tibétaine, sont abondamment cités dans la littérature critique.

Miguel Serrano et « Océan de Sagesse ».

Les analyses critiques d’Albert Ettinger et de Gilles Van Grasdorff

Dans son ouvrage « Croix gammée sur le Tibet », Albert Ettinger revient largement sur cette part d’ombre, dénonçant l’hagiographie occidentale autour du Dalaï Lama et documentant les liens avec ses anciens amis SS. Il souligne le contraste entre la condamnation sans appel du nazisme en Europe et le maintien d’amitiés publiques avec des criminels de guerre ou des idéologues de l’aryanisme dans la sphère tibétaine.

Gilles Van Grasdorff, de son côté, dans son livre « Opération Shambhala », montre comment le Tibet est devenu le théâtre d’expériences pseudo-scientifiques nazis, mais aussi le lieu d’un dialogue occulte dont la postérité fut assurée par des figures comme Harrer, Beger, et même certains milieux néonazis sud-américains. L’auteur lie l’engouement nazi pour le Tibet à la quête d’un mythe aryen, dont l’instrumentalisation imprégnait aussi la propagande et certains courants ésotériques jusqu’à aujourd’hui.

Un héritage controversé

Même si le Dalaï Lama a pu soutenir, a posteriori, que ses relations personnelles avec Harrer ou Beger étaient dénuées de tout substrat politique, la tolérance envers le passé nazi, et parfois la célébration implicite de personnalités compromises est difficile à éluder. Les auteurs présumés, sans verser dans le sensationnalisme, invitent à dépasser la vision idéalisée du chef tibétain pour interroger les ambiguïtés de son entourage et de certains choix symboliques majeurs.

En définitive, l’histoire des amitiés du Dalaï Lama avec certains anciens nazis et idéologues fascistes soulève autant de questions sur le rapport entre spiritualité, politique et mémoire que sur la nature des mythes qui accompagnent encore aujourd’hui la figure de « l’Océan de Sagesse ».

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