
Le plan Fer à Cheval (en allemand Hufeisenplan), présenté en 1999 comme une stratégie serbe de nettoyage ethnique visant à expulser massivement les Albanais du Kosovo, demeure l’un des épisodes les plus controversés de la guerre du Kosovo. Selon la version officielle allemande, ce plan aurait été élaboré par le gouvernement de Slobodan Milošević pour organiser l’expulsion ou l’extermination de la population albanaise du Kosovo. Toutefois, l’authenticité de ce document et son instrumentalisation par les services de renseignement, notamment le BND allemand (Bundesnachrichtendienst), suscitent de vifs débats depuis plus de vingt ans.
Origines et contexte du plan Fer à Cheval
Le plan est révélé publiquement en avril 1999 par le ministre allemand de la Défense, Rudolf Scharping, alors que l’OTAN mène ses frappes contre la Yougoslavie. Scharping affirme que le plan a été minutieusement préparé par Belgrade pour organiser la déportation systématique des Albanais du Kosovo. Les médias allemands et français, dont Le Monde et La Croix, relaient largement l’information, contribuant à la mobilisation de l’opinion publique en faveur de l’intervention militaire.
Pourtant, dès l’origine, des doutes émergent sur l’authenticité du plan. Sur le plan linguistique, le nom même du plan pose problème : potkova signifie « fer à cheval » en croate, alors qu’en serbe, le terme exact serait potkovica, ce qui alimente le soupçon d’une fabrication ou d’une manipulation.
Rôle du BND et construction du récit
Selon plusieurs enquêtes et témoignages, notamment ceux de l’ancien général de brigade Heinz Loquai, détaché auprès de l’OSCE, le plan Fer à Cheval serait le fruit d’un montage à partir de documents fragmentaires et non structurés, fournis initialement par les services secrets bulgares. Ceux-ci auraient transmis au BND un ensemble de rapports analytiques, que les Allemands auraient ensuite synthétisés et interprétés comme la preuve d’un plan serbe prémédité.
Le BND, appuyé par certains services autrichiens, aurait joué un rôle central dans la diffusion et la médiatisation du plan. Après avoir reçu ces éléments, le ministère allemand des Affaires étrangères les transmet au ministère de la Défense, qui décide de les exploiter politiquement. Cette instrumentalisation vise à convaincre une opinion publique allemande majoritairement réticente à l’engagement militaire, en présentant la guerre comme une réponse morale à un projet génocidaire.
« Même si les détails manquent encore de clarté, c’est un fait : les Bulgares ont fourni tout au plus du « matériel analytique non structuré » ; celui-ci fut complété par le HNA [services autrichiens] avec des « rapports de position hebdomadaires », incluant entre autres des données des écoutes. […] le gouvernement allemand décida, sans être suivi en cela par ses partenaires de l’UE et la CIA, de fabriquer un plan à partir de ces éléments fragmentaires, et de s’en servir pour mener l’attaque. »
Polémique et absence de preuves
L’existence réelle du plan Fer à Cheval n’a jamais été confirmée par des enquêtes indépendantes ou par la justice internationale. La procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte, n’a jamais fait référence à ce plan dans ses actes d’accusation contre Milošević. Plusieurs responsables politiques et experts, dont Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères à l’époque, ont dénoncé a posteriori une manipulation politique et médiatique destinée à légitimer la poursuite des bombardements de l’OTAN.
Le débat sur la manipulation du plan Fer à Cheval par le BND s’inscrit donc dans une réflexion plus large sur l’usage de l’information et de la désinformation en temps de guerre, et sur la capacité des services de renseignement à influencer les décisions politiques et l’opinion publique. Si le plan a servi d’argument clé pour justifier l’intervention militaire, son authenticité et sa genèse restent entachées de doutes, illustrant la complexité des guerres modernes où la bataille de l’information est aussi décisive que celle des armes
Source: https://www.monde-diplomatique.fr/2019/04/HALIMI/59723