Les morts suspectes de l’affaire des frégates de Taiwan.

L’affaire des rétrocommissions sur les ventes d’armes à Taïwan dans les années 1990 demeure l’un des plus vastes scandales politico-financiers de la Ve République, mêlant industrie de défense, réseaux politiques et morts suspectes.

Un contrat d’armement devenu affaire d’État

En 1991, la France vend à Taïwan six frégates par l’intermédiaire de Thomson-CSF (Thales) et d’autres industriels, malgré les pressions de Pékin. Ce contrat très sensible donne lieu à un système complexe de commissions légales et occultes, dont le retour partiel en France sous forme de rétrocommissions aurait servi à financer des partis et intérêts privés, ce qu’explique en détail le magistrat Thierry Jean Pierre dans son livre « L’Archipel des corrompus ».

La justice française, malgré les blocages du secret-défense, découvre des montages désignés : plus de 500 millions de dollars transitant via des paradis fiscaux pour arroser décideurs et facilitateurs. La France finit par payer à Taïwan plus de 630 millions d’euros après arbitrage international pour souder le dossier.

Morts suspectes en cascade

L’un des aspects les plus sombres de l’affaire réside dans la série de morts suspectes. Yin Ching-feng, capitaine de la marine taïwanaise, critique du contrat, est retrouvé assassiné dans la baie de Taipei en 1993. Sa famille affirme qu’il s’apprêtait à effectuer des révélations compromettantes.

Yin Ching Feng.

Peu après, James Kuo, représentant de la Société générale à Taïwan et acteur dans le montage financier des frégates, meurt en novembre 1992 en se défenestrant du haut de son immeuble de travail, soit quelques mois après la signature du contrat. Les circonstances exactes entourant cet acte n’ont jamais été totalement élucidées, mais il fait partie de ce que la presse a nommé les « morts sur ordonnance » de l’affaire. À la même époque, le jeune neveu de Yin décède d’une façon mystérieuse, ajoutant à l’opacité autour du scandale.

D’autres décès mystérieux marquent le dossier : Jacques Morisson (ingénieur Thomson), mort par défenestration en 1995, Louis-Fabrice Lavielle (ancien ingénieur commercial Thomson-CSF) retrouvé suicidé en 1999, Jean-Claude Albessard (ancien agent commercial à Taïwan), décédé d’un cancer foudroyant en 2001, et enfin, Thierry Imbot, ex-membre de la DGSE et fils du général René Imbot, qui a chuté mortellement de son appartement parisien en 2000 peu avant un supposé rendez-vous avec un journaliste où il aurait dû faire des révélations.

La mort de Thierry Imbot a été brièvement évoquée par la presse.

Interrogatoires persistants et dimension politique

Ces morts, parfois qualifiées de suicide ou d’accident, entretiennent la suspicion d’élimination de témoins clés. Les différentes enquêtes, contrariées par la raison d’État et la frilosité des autorités à lever le secret-défense, n’ont toujours pas permis de faire toute la lumière, alimentant rumeurs et fantasmes.

Le magistrat Thierry Jean Pierre, qui fut l’un des premiers à dénoncer les dérives des commissions occultes et leur nocivité pour la vie publique dans « L’Archipel des corrompus », éclaire cette mécanique selon laquelle le secret, la corruption et la violence deviennent les armes de la protection d’intérêts supérieurs.

Héritage toxique et mémoire collective

Aujourd’hui encore, l’affaire des frégates de Taïwan demeure un cas d’école des dérives des grands contrats internationaux, de la force du lobby militaro-industriel, et de la difficulté, pour les démocraties, à imposer transparence, justice et protection aux lanceurs d’alerte. Le mystère entourant les morts de James Kuo, du neveu de Yin et de tant d’autres — tout comme la fin tragique de Thierry Imbot — fait de ce dossier un épisode sombre du pilonnage du secret d’État sur la République.

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