
L’expérience de Milgram, menée en 1961 par le psychologue américain Stanley Milgram, reste une étude phare en psychologie sociale sur l’obéissance à l’autorité. Elle a démontré qu’une majorité des participants étaient prêts à administrer des chocs électriques supposément dangereux à un tiers, sous ordre d’une figure d’autorité. Cette expérience a profondément marqué la compréhension du comportement humain, notamment sur la capacité d’obéir malgré la souffrance infligée à autrui. Cependant, sa scientificité et la véracité des résultats ont fait l’objet de critiques rigoureuses, certaines suggérant un possible « bidouillage » ou un biais dans le traitement des données par Milgram lui-même.

Des critiques méthodologiques majeures
Plusieurs recherches rétrospectives, notamment celles de l’historienne et psychologue sociale Gina Perry, ont révélé que Milgram n’a pas respecté rigoureusement son protocole expérimental officiel. Par exemple, des cassettes audio de l’expérience montrent que les expérimentateurs ont parfois exercé des pressions excessives, allant bien au-delà des quatre relances standardisées annoncées dans le protocole pour pousser les sujets à continuer. Dans certains cas, l’expérimentateur insista jusqu’à 26 fois, ce qui fausse la prétendue uniformité du processus et influence probablement sur le taux d’obéissance.

Par ailleurs, Milgram conduisait en réalité 24 expériences similaires, dont les résultats étaient très variables. Pourtant, il présente souvent un taux de 65% d’obéissance comme la norme, alors que ce chiffre ne concernait qu’une seule expérience spécifique. Cette forme de sélection des résultats, qui minimise la diversité des comportements observés, alimente l’idée que Milgram aurait biaisé ses conclusions pour mieux illustrer son hypothèse sur l’obéissance aveugle.
Scepticisme des participants et interprétation des résultats
Des analyses plus récentes ont également montré que de nombreux participants doutaient de la réalité des chocs électriques qu’ils croyaient administrer. Cette méfiance module leur comportement, certains obéissant davantage parce qu’ils ne croyaient pas infliger de douleur réelle, alors que d’autres désobéissaient davantage à mesure qu’ils percevaient la souffrance réelle. Milgram aurait, d’après certaines critiques, sous-estimé ou sous-rapporté cette dimension subjective importante, influençant ainsi les interprétations des résultats.

Cette incertitude a également un impact sur la validité interne de l’expérience : si les participants ne croient pas eux-mêmes à la réalité du choc, parler d’« obéissance à une autorité qui fait mal » perd de sa force. Des travaux révélant que les réactions de stress observées (transpiration, nervosité) ne sont pas nécessairement la preuve absolue de la croyance dans la réalité des chocs, car un stress psychologique peut survivre même dans des contextes de manifestation fictifs.

Une scientificité et une validité complexes
Malgré ces critiques, certains chercheurs soutiennent que l’expérience demeure largement valide sur le plan interne car elle a créé une situation ambivalente où les sujets ont dû naviguer entre doutes et pressions, reflétant ainsi un dilemme moral réel. L’expérience a également été analysée comme un modèle de la « soumission à l’autorité » qui peut extrapoler à d’autres situations éthiques contemporaines.
Cependant, des critiques se focalisent sur le manque de fiabilité externe, car les conditions expérimentales (laboratoire, contexte universitaire, instructions, présence ou absence de l’expérimentateur) influent beaucoup sur les résultats. Milgram lui-même a noté que l’obéissance diminuait considérablement lorsque le contexte ou la légitimité de l’autorité variait, ce qui rappelle la fragilité des conclusions générales.
Reprise de l’expérience de Milgram dans le film « I comme Icare » d’Henri Verneuil (1979).
L’expérience de Milgram a profondément marqué la psychologie sociale en révélant les dangers de l’obéissance aveugle. Cependant, son cadre scientifique est aujourd’hui reconnu comme plus imparfait et biaisé qu’il ne le semblait initialement. Milgram a apparemment « bidouillé » ou du moins sélectionné ses résultats, parfois toléré des déviations dans la conduite des expérimentateurs, et sous-estimé le scepticisme des participants. Cela ne disqualifie pas entièrement la valeur heuristique de l’expérience, mais invite à une lecture plus critique, nuancée et honnête de ses conclusions. En somme, l’expérience est un cas d’école autant sur l’obéissance que sur les limites de la rigueur scientifique en psychologie expérimentale.