
À l’été 1960, le Congo nouvellement indépendant plonge dans le chaos politique et la violence. Patrice Lumumba, premier ministre démocratiquement élu du pays, incarne les espoirs panafricains, mais inquiète les puissances occidentales. Les États-Unis, et surtout la CIA, craignent que le Congo tombe dans la sphère d’influence soviétique à cause des prises de position de Lumumba.
Dans ce contexte explosif, le jazzman américain Louis Armstrong arrive au Congo, officiellement pour une tournée de concerts. Mais derrière la façade culturelle, ce voyage devient un instrument au service des intérêts géopolitiques américains.

L’objectif affiché : la diplomatie culturelle
Armstrong effectue, à partir d’octobre 1960, une tournée dans plusieurs pays africains, dont le Congo, dans le cadre du programme « Jazz Ambassadors » initié par le Département d’État américain. Objectif officiel : redorer l’image des États-Unis auprès des jeunes nations africaines nouvellement indépendantes, en mettant en avant la culture afro-américaine.
Cette initiative doit contrebalancer la propagande soviétique et faire oublier la ségrégation raciale sévissant encore alors aux États-Unis.
La réalité cachée : une couverture pour la CIA
Lors d’un dîner à Léopoldville (l’actuelle Kinshasa), Armstrong et son épouse sont accompagnés d’un homme se présentant comme diplomate américain. En réalité, il s’agit de Larry Devlin, chef de la CIA au Congo.

La tournée du trompettiste sert de « cheval de Troie » à la CIA, qui l’utilise comme couverture pour opérer librement, rencontrer des hauts responsables locaux et surtout recueillir des informations stratégiques, en particulier dans la province riche et rebelle du Katanga. Cette région regorge d’uranium, ressource cruciale pour la stratégie américaine en pleine Guerre froide.
Armstrong ignorait le rôle clandestin que les services américains faisaient jouer à sa présence médiatique.
Jazz, propagande et détournement politique
La visite d’Armstrong dans le contexte de crise congolaise n’est pas un acte isolé. Pendant toute la Guerre froide, les États-Unis exploitent le jazz comme un outil de « soft power », envoyant Dizzy Gillespie, Nina Simone, Duke Ellington et d’autres musiciens noirs pour conquérir les « cœurs et esprits » du Sud global, simultanément souvent à des opérations secrètes de la CIA.
Pendant qu’Armstrong remplit les salles et fait la une des journaux, le gouvernement américain et ses agents déploient une stratégie de déstabilisation : financement de l’opposition, organisation de manifestations, propagande contre Lumumba, et soutien logistique aux alliés locaux, dont Joseph-Désiré Mobutu.
Le dénouement : la chute de Lumumba
Peu avant ou pendant le séjour d’Armstrong au Congo, Lumumba est assigné à résidence, puis arrêté par les militaires fidèles à Mobutu, un protégé de la CIA.

Les fonds et la logistique américains permettent l’arrestation et le transfert de Lumumba vers la région katangaise, alors contrôlés par des sécessionnistes soutenus par la Belgique et les États-Unis. Lumumba y sera exécuté en janvier 1961 .
En réalité, la mort de Lumumba est le résultat d’un faisceau d’intérêts occidentaux (belges, américains, britanniques), mais la CIA joue un rôle central dans l’organisation des opérations subversives. Pendant ce temps, la présence médiatique de l’ambassadeur Armstrong aide, en déplaçant l’attention publique mondiale, à rendre ces manœuvres moins visibles.
Armstrong : le musicien instrumentalisé
Lorsqu’Armstrong découvre son « exploitation » à des fins géopolitiques, il est furieux et menace, selon certains témoignages, de renoncer à sa citoyenneté américaine.
Cette histoire révèle la double face de la diplomatie culturelle américaine, où l’art et la musique deviennent parfois des armes de détournement au service de la « raison d’État ».
En résumé, la visite de Louis Armstrong au Congo en 1960, sous couvert de rapprochement culturel, un service de couverture à la CIA pour recueillir du renseignement et faciliter la déstabilisation du gouvernement Lumumba — facilitant ainsi sa chute et son assassinat orchestré par des puissances occidentales soucieuses de préserver leurs intérêts stratégiques.