
Dans les années 1950, l’exil des Juifs irakiens vers Israël fut un tournant majeur de l’histoire du Moyen-Orient, marqué par une migration massive qui a transformé une communauté plurimillénaire. Ce départ ne fut pas uniquement l’effet de pressions externes liées à la montée des nationalismes arabes et à la création de l’État d’Israël, mais fut aussi accéléré et instrumentalisé par des actions clandestines, controversées, attribuées au Mossad, l’agence de renseignement israélien.
Communauté juive en Irak et montée des tensions
Jusqu’au début du XXe siècle, les Juifs irakiens formaient une des communautés juives les plus anciennes et importantes du monde arabe, avec un ancrage historique et culturel profond, notamment à Bagdad. Cependant, à partir de 1948, après la création d’Israël et la guerre qui s’ensuivit, les relations se dégradèrent brutalement. La montée du nationalisme arabe, la suspicion envers les Juifs assimilés à une « cinquième colonne », ainsi que les lois discriminatoires et la répression accumulée, ont généré un climat d’insécurité.
False Flag et les bombes de Bagdad
L’une des révélations les plus troublantes concerne les « bombes de Bagdad » de 1950-1951 : une série d’attentats contre des cibles juives dans la capitale irakienne. Des preuves accumulées, notamment par l’historien Avi Shlaim et d’autres chercheurs, montrent que certains de ces attentats furent perpétrés par des agents liés au Mossad dans le but délibéré de semer la peur parmi les Juifs irakiens pour leur départ vers Israël.

Ces fausses attaques, qui visaient à faire passer les Juifs irakiens pour des victimes de violences arabes, alimentaient ainsi un climat de terreur et justifiaient la nécessité d’une émigration massive. Deux membres de l’underground sioniste irakien furent arrêtés et condamnés à mort pour certains des incidents, bien que des doutes subsistent sur leur implication réelle dans les explosions. Des archives britanniques et des témoignages indiquent que les attentats étaient probablement orchestrés ou tolérés par des agents zélés du Mossad qui introduisaient des explosifs dans les synagogues et les quartiers juifs.
Cette stratégie correspond à une manipulation géopolitique : en créant un faux climat de menace, Israël espérait contrebalancer la réticence d’une partie des Juifs irakiens à émigrer, dans un contexte où l’État israélien peinait à absorber un afflux massif d’immigrants.
Opération Aliyah et exode forcé
Le gouvernement irakien, sous la pression de la montée du nationalisme et de la guerre froide, finit par légaliser l’émigration des Juifs, mais à la condition qu’ils renoncent à leur nationalité irakienne, ce qui équivalait à un exil forcé. Entre 1950 et 1952, environ 120 000 à 130 000 Juifs quittèrent l’Irak pour Israël dans le cadre de l’Opération Ezra et Néhémie. Beaucoup d’entre eux partent sans bien comprendre que leur exode était accéléré par une politique clandestine israélienne consistant à attiser les peurs par des actes terroristes internes.

Conséquences et mémoire conflictuelle
L’intégration en Israël fut un autre défi, les Juifs irakiens subissant la discrimination culturelle et économique face à la majorité ashkénaze. Parallèlement, ces événements sont l’objet d’une mémoire conflictuelle : s’il est admis que l’exode fut accéléré par l’insécurité et les persécutions, la responsabilité directe attribuée au Mossad dans la mise en œuvre de restes attentats « sous fausse bannière » contestée effectivement plus largement documentée par des historiens critiques.
Cette politique d’actions secrètes visant à forcer un peuple à l’exil interroge sur les moyens pragmatiques, parfois violents, utilisés dans la construction d’Israël et la transformation démographique de la région. Elle soulève aussi de faits lourds, comme l’utilisation d’actes terroristes sur des civils pour des objectifs politiques, un paradoxe éthique qui traverse l’histoire des conflits du Moyen-Orient.
Ainsi, l’exil des Juifs d’Irak dans les années 1950 est un phénomène de pression politique nationale arabe, et une opération stratégique sioniste clandestine avec des ramifications morales et historiques majeures. Il illustre la complexité des identités, des loyautés et des violences entourant la naissance d’Israël et les redéfinitions des appartenances dans la région. Cette histoire invite à une réflexion nuancée sur le coût humain des migrations forcées et des mythologies construites autour des conflits identitaires.
Cette dynamique, largement ignorée ou minoritaire dans les récits officiels traditionnels, est désormais mieux documentée et explorée par des chercheurs, proposant une lecture plus critique des mécanismes derrière cet exode historique.