
Porto Rico, île des Caraïbes, demeure aujourd’hui le dernier grand territoire colonial du monde occidental, un anachronisme politique qui interroge à l’ère de la décolonisation. Depuis la conquête américaine en 1898, l’île n’a jamais accédé à l’indépendance, oscillant entre autonomie limitée et tutelle de Washington. En 1952, Porto Rico a adopté le statut d’« État libre associé » (Commonwealth), lui conférant une autonomie interne, mais laissant les affaires étrangères, la défense et la monnaie sous contrôle américain. Ce statut, loin de régler la question coloniale, perpétue une situation d’ambiguïté et de dépendance.
Les Portoricains, citoyens américains depuis 1917, ne bénéficient pas des mêmes droits que les autres citoyens des États-Unis. Ils ne peuvent pas voter à l’élection présidentielle, n’ont qu’un délégué sans droit de vote au Congrès, et l’ensemble des amendements constitutionnels américains ne s’applique pas sur l’île. Les Portoricains ne bénéficient donc pas des mêmes droits de représentation politique que les autres citoyens des USA, ce qui est la marque d’un système colonial. Ce déficit démocratique place Porto Rico dans une situation d’infériorité politique, malgré sa contribution à l’économie et à la société américaines. Plusieurs référendums ont montré une volonté, fluctuante mais réelle, de changer ce statut, que ce soit vers l’intégration comme 51e État, la libre association ou l’indépendance totale. Cependant, toute évolution dépend du Congrès américain, qui reste maître du destin portoricain.
La question coloniale portoricaine ne se limite pas à une simple affaire de droits civiques. Elle touche à l’identité, à la souveraineté, à la capacité d’un peuple à se gouverner lui-même et à définir son avenir. Les partisans de l’indépendance dénoncent une stratégie américaine visant à freiner les aspirations souveraines du peuple portoricain, l’empêchant de renégocier sa dette ou de tisser des liens internationaux en dehors du cadre imposé par Washington. Mais la peur d’une rupture brutale, alimentée par la dépendance économique et la crainte de l’instabilité, freine une partie de la population, tandis que le mouvement indépendantiste peine à convaincre qu’une souveraineté pleine serait synonyme de progrès social et économique.
Dans ce contexte, le silence de la gauche européenne dite « décoloniale » sur le cas de Porto Rico interroge. Alors qu’elle se mobilise contre les vestiges du colonialisme ailleurs dans le monde, elle reste largement absente du débat sur cette colonie américaine, pourtant emblématique des contradictions de l’ordre international contemporain. Ce silence, qu’il soit dû à l’influence géopolitique des États-Unis, à une méconnaissance du dossier ou à une hiérarchisation des causes, révèle une limite dans l’universalité du combat décolonial. Pourquoi la gauche européenne, si prompte à dénoncer les injustices coloniales, détourne-t-elle le regard de Porto Rico, dernier territoire d’importance sous domination directe d’une puissance occidentale ? La question reste posée, et le sort de Porto Rico demeure un angle mort du discours décolonial dominant.