
Alors que la France vient d’adopter en première lecture, le 27 mai 2025, une loi ouvrant le droit à l’aide à mourir, le débat public se tend. Les promoteurs insistent sur l’autonomie et la dignité. Mais l’expérience étrangère (Pays-Bas, Belgique, Canada, Espagne) montre que la question n’est pas tant « faut-il légiférer ? » que comment éviter les dérives.
1. Dérives médicales
Aux Pays-Bas, près de 10 000 euthanasies ont été déclarées en 2024 (5,8 % des décès), avec une augmentation constante et des cas psychiatriques en hausse. En Belgique, le nombre croît d’environ 12 % par an. Au Canada, la loi initialement limitée a été étendue à des personnes non en fin de vie, avant que l’extension aux troubles mentaux ne soit reportée à 2027 faute de garde-fous suffisants.
Risque : élargissement progressif du champ médical, complexité accrue d’évaluation, erreurs possibles, et quelques cas « non conformes » repérés a posteriori.
2. Dérives éthiques
Au Canada, des personnes ont invoqué l’aide à mourir face à la pauvreté ou l’isolement, parfois faute de soutien social adéquat. L’« autonomie » se brouille alors avec une détresse économique. Des experts de l’ONU alertent également sur le risque de discrimination indirecte des personnes handicapées.
Risque : la société répond par la mort à ce qui devrait relever de la solidarité et des politiques publiques.
3. Dérives sociétales
En Espagne comme au Canada, les rapports officiels signalent des inégalités d’accès aux soins palliatifs, avec un danger d’« effet de substitution » : choisir l’aide à mourir faute d’alternative palliative. Aux Pays-Bas, quelques cas médiatisés de jeunes adultes atteints de troubles psychiques ont déclenché de fortes controverses.
Risque : fracture sociale et générationnelle, perte de confiance dans la médecine si la demande de mort devient un symptôme du manque de soins.
4. Dérives logiques
Les exemples étrangers illustrent un glissement normatif : ce qui est d’abord présenté comme exceptionnel devient progressivement « normal ». Le contrôle a posteriori par commissions (Pays-Bas, Belgique) montre ses limites : on sanctionne les irrégularités, mais après l’acte irréversible.
Risque : banalisation par accumulation et absence de garde-fous préventifs.
5. Dérives religieuses
Les clauses de conscience protègent les soignants, mais en Espagne leur mise en œuvre imparfaite a généré des tensions : soit une atteinte à la liberté de conscience, soit des ruptures d’accès pour les patients.
Risque : conflit entre droits fondamentaux, avec des contentieux inévitables.
6. Dérives juridiques
En Belgique, l’extension aux mineurs capables de discernement illustre la pente possible vers des cas extrêmes. Au Canada, des procédures ont été suspendues par des juges pour incertitudes sur le respect des critères, exposant médecins et institutions à une insécurité juridique.
Risque : multiplication des contentieux, responsabilité accrue des soignants.
Cinq recommandations pour la France
- Fixer des bornes stables et explicites : exclure clairement les troubles mentaux isolés et encadrer strictement les situations non terminales.
- Double évaluation obligatoire et indépendante : psychiatres et spécialistes doivent intervenir systématiquement dans les cas complexes.
- Renforcer massivement les soins palliatifs : sans cela, l’aide à mourir peut devenir un palliatif de la misère médicale.
- Protéger les personnes vulnérables : garantir un filet social, un recours rapide et un accompagnement avant toute décision létale.
- Transparence et contrôle préventif : publication régulière des données, avec commissions capables d’intervenir avant la réalisation d’un acte douteux.
L’aide à mourir interroge notre rapport à l’autonomie et à la solidarité. Les expériences étrangères montrent que les dérives ne sont pas spectaculaires mais progressives et silencieuses : extension des critères, substitution aux soins, demandes dictées par la détresse sociale.
Une loi sans garde-fous solides ne protégera pas les plus fragiles ; elle les exposera. La dignité d’une société ne se mesure pas seulement à la liberté de mourir, mais aussi à sa capacité à offrir des raisons de vivre jusqu’au bout.
Le Collectif ( @tatiann69922625 sur X).