Un ancien nazi est à l’origine de l’alliance entre la CIA et les Frères Musulmans

Rencontre officielle entre Eisenhower et
Saïd Ramadan

La collaboration entre la CIA, les Frères Musulmans et le BND (service de renseignement ouest-allemand issu de l’Organisation Gehlen) constitue l’un des épisodes les plus méconnus et controversés de la Guerre froide. Ian Johnson, dans son ouvrage Une mosquée à Munich, éclaire ce pan d’histoire où la lutte contre le communisme a mené les puissances occidentales à s’allier avec des acteurs islamistes, posant les bases de réseaux qui influenceront durablement l’Europe et le Moyen-Orient.

Genèse de l’alliance : de la Seconde Guerre mondiale à la Guerre froide

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne de l’Ouest devient un terrain d’expérimentation pour les stratégies anticommunistes américaines. Reinhard Gehlen, ancien chef du renseignement nazi sur le front de l’Est, propose aux Américains son expertise et ses réseaux pour surveiller l’URSS. Il crée l’Organisation Gehlen, précurseur du BND, qui devient le principal relais de la CIA en Europe de l’Est, fournissant informations, agents et logistique.

Dans ce contexte, les services américains et allemands cherchent à utiliser les communautés musulmanes d’Europe comme rempart contre l’influence soviétique, notamment parmi les populations d’émigrés originaires d’URSS ou de ses satellites. C’est là qu’intervient Gerhard von Mende, ancien nazi devenu responsable d’un bureau de propagande ouest-allemand, qui va orchestrer le recrutement et la structuration de ces réseaux musulmans, en particulier autour de Munich.

Le rôle central de la mosquée de Munich et de Saïd Ramadan

La mosquée de Munich devient le symbole de cette stratégie. Initialement fondée par d’anciens collaborateurs musulmans de l’Allemagne nazie, elle est rapidement prise en main par les Frères Musulmans, grâce à l’action de Saïd Ramadan. Gendre du fondateur du mouvement, Hassan el-Banna, Ramadan est alors le principal dirigeant en exil des Frères musulmans et s’impose comme l’interlocuteur privilégié des services occidentaux. Il fonde en 1958 la Société islamiste d’Allemagne, puis la Ligue musulmane mondiale, faisant de Munich la plaque tournante de l’islam politique en Europe.

Ramadan, tout en poursuivant ses objectifs panislamistes, bénéficie du soutien logistique et financier de la CIA et du BND, qui voient en lui un allié contre le communisme. La mosquée devient de facto une « ambassade » des Frères musulmans en Europe, servant à la fois de centre religieux, de base d’influence politique et de relais pour les opérations de renseignement et de propagande anticommuniste.

Les artisans de la coopération : Von Mende et Saïd Ramadan

  • Gerhard von Mende : Ancien nazi, il joue un rôle clé dans la mise en place des réseaux musulmans en Allemagne de l’Ouest, facilitant la collaboration entre les services allemands, la CIA et les leaders islamistes. Il voit dans l’islam politique un outil pour contrer l’URSS et maintenir l’influence occidentale en Eurasie.
  • Saïd Ramadan : Gendre d’Hassan el-Banna et père de Tariq Ramadan, il est le principal architecte de l’implantation des Frères musulmans en Europe. Sa double casquette de leader religieux et d’agent d’influence lui permet de naviguer habilement entre les intérêts occidentaux et ceux de son mouvement.

Raisons et logique de l’alliance

Cette coopération repose sur une logique de guerre froide : pour Washington et Bonn, il s’agit de créer des réseaux capables de s’opposer à l’idéologie communiste, notamment parmi les populations musulmanes d’URSS et des Balkans. Les Frères musulmans, farouchement anticommunistes, apparaissent comme des partenaires naturels. L’objectif est de soutenir des mouvements religieux capables de concurrencer l’athéisme d’État soviétique, tout en gardant un œil sur les tendances nationalistes ou indépendantistes qui pourraient déstabiliser la région.

La CIA fournit financement, soutien matériel et couverture diplomatique, tandis que le BND (héritier de l’Organisation Gehlen) offre un ancrage local et un accès aux réseaux d’émigrés. Les Frères musulmans, quant à eux, profitent de cette alliance pour s’implanter durablement en Europe, structurer leurs réseaux et diffuser leur idéologie, parfois à l’insu de leurs parrains occidentaux.

Conséquences et héritage

Cette stratégie, jugée à court terme efficace contre le communisme, a eu des conséquences durables : la mosquée de Munich devient un centre névralgique de l’islam politique, et les réseaux mis en place dans les années 1950-60 servent de matrice à l’essor de l’islamisme en Europe. Ian Johnson souligne que cette « accumulation de maladresses stratégiques et politiques » a permis à l’islam radical d’installer sa première tête de pont en Occident, avec des répercussions jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001.

En somme, l’alliance entre la CIA, les Frères musulmans et le BND de Gehlen, orchestrée par des figures comme Von Mende et Saïd Ramadan, illustre la complexité des jeux d’influence de la Guerre froide et les conséquences inattendues des politiques d’alliance avec des partenaires idéologiquement éloignés, mais provisoirement utiles contre un ennemi commun.

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